Accord sur la sécurisation de l'emploi en France : quelle avancée vers la flexicurité ?

Une renaissance de la négociation interprofessionnelle

François Hollande voulait « historique », le compromis qui a été trouvé à la mi-janvier entre syndicats de salariés et d’employeurs après plusieurs rencontres depuis octobre 2012. Ce compromis n’a pas fait l’unanimité et soulève encore de nombreuses questions mais il parvient, pour le moins, à redonner une place pionnière aux syndicats et à la négociation interprofessionnelle pour réformer le marché du travail en lieu et place de la législation. C’est en effet l’un des atouts des pays du Nord et de l’Allemagne qui, à l’inverse d’une domination étatiste en France, s’appuient sur une solide tradition de compromis social, au moyen d’un syndicalisme qualifié de « responsable ».

Selon les règles issues de l’accord, la signature de trois syndicats représentatifs suffit à valider l’accord malgré l’opposition de deux autres, traditionnellement moins « réformistes ». Mais le chemin ne s’arrête pas à ce stade : l’ANI (Accord National Interprofessionnel) doit désormais être traduit fidèlement dans un projet de loi et adopté par les deux assemblées pour entrer en vigueur, ce qui laissera à la CGT et à FO la possibilité de mobiliser une opposition des parlementaires. Ainsi, une nouvelle conférence sociale a été d’ores et déjà annoncée pour le mois de juillet prochain. Selon de nombreux commentateurs, les leaders syndicaux signataires, en particulier Laurent BERGER à la tête de la CFDT, font le pari de l’innovation pour tenter de limiter les suppressions d’emploi en période de récession et choisissent d’occuper une place de premier plan dans la négociation plutôt qu’au dehors, en transcrivant en France le principes de la flexicurité.

Un modèle danois

Le concept de « flexicurité » est apparu en Europe occidentale dans les années 1990 dans un contexte de chômage massif, coûteux pour l’individu et la société, face auquel les politiques traditionnelles de l’emploi étaient impuissantes. La flexicurité est fondée sur la constatation que la mondialisation et le progrès technique entraînent une évolution rapide des besoins des entreprises et des travailleurs.

Ce néologisme, contraction de flexibilité et sécurité, est adopté dans une loi votée en 1999 aux Pays-Bas. Mais c’est en réalité au Danemark qu’il devient un « modèle social » à l’issue d’une réforme du marché du travail datant de 1994. Conciliant un niveau de flexibilité du marché du travail et un degré de sécurité élevé en termes de revenu et de protection sociale, il séduit l’ensemble des pays européens et occupe une place centrale dans la Stratégie européenne pour l’emploi, qui, avec l’ambition « Europe 2020 », vise un taux d’emploi de 75 % des 20-64 ans.

Comme le montre Robert BOYER dans La flexicurité danoise, quels modèles pour la France ?, Cepremap, 2006, les faibles taux de chômage rencontrés dans ce pays, y compris en temps de crise, reposent sur un tryptique désormais bien connu :

 

Si au Danemark, la mobilité de la main-d’œuvre atteint 30 % chaque année, en France, selon l’enquête FQP de 2003, 20 % des hommes ont changé d’emploi et 15% des femmes. On oppose alors la rigidité de notre marché du travail à la flexibilité danoise. Comment fonctionne ce tryptique ?

  1. La flexibilité est permise par un droit du travail extrêmement souple du point de vue hexagonal : une grande largesse de négociation des salaires par branches, du contrat de travail, l’absence de durée légale de travail, de salaire minimum et une faible protection de l’emploi assurée par l’absence de versement d’indemnités en cas de licenciement. On aurait ainsi tendance à rapprocher cette liberté d’embauche et de licenciement d’un workfare à l’anglo-saxonne. Mais cette très grande vulnérabilité des travailleurs au chômage est cependant compensée par …

  2. ....une indemnisation-chômage très généreuse, de l’ordre des deux-tiers du salaire antérieur pendant 4 ans au plus (contre moins de 40 % en France), même si le régime s’est durci récemment au plus fort de la crise. Ce pays se caractérise donc également par l’intervention forte d’un Etat-Providence financé par une fiscalité redistributive.

  3. Ces deux premiers dispositifs sont associés à une politique active de l’emploi tant en termes de contrôle de la disponibilité des chômeurs que de leur requalification éventuelle. Le nombre de refus d’emploi est très limité et la pression poussant à l’employabilité, forte.

Ainsi, si de nombreux Danois risquent de connaître le chômage au cours de leur vie active, peu d’entre eux expérimentent un chômage de longue durée, tendant à exclure les individus du marché du travail. Au-delà, dans un pays où le taux de syndicalisation atteint 80% .des salariés , le système s’appuie sur une décentralisation croissante des décisions relatives au domaine de l’emploi, prises à l’issue d’un dialogue social solide et respectueux, l’intervention du législateur se révélant très limitée.

Quelle transposition en France ?

Si les économistes aiment les modèles (japonais, rhénan, etc.), nombreux sont ceux qui ont mis en avant la distance entre un royaume grand comme la région Rhône-Alpes et la France métropolitaine : pour obtenir une sécurisation des revenus associée à une plus grande flexibilité des marchés internes, l’importation d’une « boîte à outils » s’avère vaine et chaque pays doit créer ses règles en tenant compte de ses propres « arrangements institutionnels » 1.

En reprenant les trois piliers du modèle danois, le contenu de l’accord signé par les partenaires sociaux s’avère plus « lisible » 2

Alors que les annonces de plans sociaux massifs se multiplient (Peugeot, Renault, …), cet accord national interprofessionnel soulève déjà certaines polémiques et subira sans doute des modifications, après adoption d’un projet de loi qui pourrait être promulgué au début de l’été. Ce projet verra cependant s’affronter les signataires, d’une part les tenants d’une réforme forte du code du travail permettant de dépasser les limites de relations professionnelles conflictuelles et stériles, et d’autre part les opposants à la réforme, dénonçant un marché de dupes en raison de concessions étendues accordées aux employeurs qui donnent plus de flexibilité que de sécurité. Le professeur de droit Antoine Lyon-Caen(5) analyse ainsi l’issue d’une négociation où le patronat obtient plus de liberté de manœuvre dans la gestion du personnel embauché - considéré comme trop protégé - en échange de droits accordés aux plus précaires des salariés. Pour Charles de Froment(6) auteur du rapport Flexibilité responsable pour l’Institutde l’entreprise, l’accord rétablit précisément une plus grande égalité dans l’effort de flexibilité entre les salariés. Cette reprise du dialogue social, tant saluée, soulève, en tout état de cause, encore beaucoup de questions : comment l’Unedic, déficitaire, pourra-t-elle financer la hausse programmée du coût de l’assurance-chômage ? Comment les syndicats français, habitués à un recours aux tribunaux, gèreront-ils cette nouvelle place centrale qu’ils tendent à acquérir au cœur d’entreprises en difficulté ? Enfin, quid de la manière dont cette flexicurité, considérée comme un eldorado, impactera le niveau de l’emploi en France …

(1) Jérôme GAUTIÉ, « Le défi de l'emploi : flexibilité et/ou sécurité. La France en quête d'un modèle », Cahiers Français, n° 330, janvier-février 2006.

(2) Robert BOYER, La flexicurité danoise, quels modèles pour la France ?, Cepremap, 2006.

(3) « Accord sur la sécurisation de l'emploi : de nouveaux droits pour les salariés », Liaisons sociales-quotidien, 15 janvier 2013.

(4) Bertrand BISSUEL, « Licenciements, droits des salariés... Ce qui va changer avec l'accord sur l'emploi », Le Monde, 12 janvier 2013

(5) Antoine LYON-CAEN, « La partie patronale a progressé », Le Monde, 17 janvier 2013.

(6) Charles de FROMENT, « La portée réelle de l'accord sur l'emploi n'est pas encore mesurable », Le Monde, 17 janvier 2013.

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