Vers le monde de 2050

Michel Camdessus

L'ouvrage

Dans le prologue de son ouvrage, Michel Camdessus regrette que la conduite de la politique économique oblige les responsables politiques à trop se focaliser sur le court terme : « or dans ce monde qui change à une vitesse foudroyante, une vision à long terme est indispensable. Paradoxalement les nations s’en passent ». Avec les experts de l’Emerging Markets Forum, issus de tous les continents de la planète, il se propose de faire le point ici sur ce qu’il appelle les « hyper-tendances » du monde qui vient, et d’évoquer les mesures politiques volontaristes qui pourraient être mises en œuvre pour mieux affronter leur impact dans la mondialisation, en quête d’un « bien commun universel ».

L’économie mondiale a récemment connu un renversement crucial : la part des économies émergentes dans la richesse mondiale a dépassé celle des vieilles nations occidentales (en 2015, les pays émergents et en développement, avec 53% du PIB mondial, ont en effet dépassé les pays avancés qui n’en représentent plus que 47%). Ce basculement du monde a permis d’arracher des millions de personnes de la pauvreté extrême et a autorisé le gonflement d’une vaste classe moyenne, en même temps qu’il a élevé le niveau d’éducation et de santé dans de nombreux pays. Mais les inégalités restent considérables à l’échelle internationale et rien ne dit que le processus de convergence des pays émergents vers le niveau de richesse par habitant des pays avancés se poursuivra harmonieusement. Car notre monde reste balayé par des vents mauvais tandis que des périls majeurs le guettent : le changement climatique, la hausse persistante des inégalités, la poussée des fondamentalismes et la multiplication de foyers de tensions à travers la planète. Et selon Michel Camdessus, « à tous ces risques s’ajoutent enfin la déliquescence du politique et la fragilisation de la démocratie, y compris là où on la croyait la mieux établie ». Une raison supplémentaire pour, dès à présent, prendre avec lucidité la mesure de ces bouleversements gigantesques, de ces « éléments structurants » qui auront profondément transformé le monde de 2050.

Un lien vers le cours sur l’économie et la sociologie du développement en CPGE :

Les dynamiques structurantes

Michel Camdessus évoque en effet dans ce livre ce que les économistes appellent les megatrends ou « hyper-tendances », ces forces suffisamment puissantes pour exercer des effets jusqu’en 2050. A l’instar de lames de fond, elles se forment lentement, puis finissent par tout renverser sur leur passage.

La première de ces vagues est la démographie, avec une population de 9,5 milliards d’habitants en 2050, le monde sera partagé entre des zones qui devront gérer les conséquences du vieillissement de la population, et notamment l’Europe qui amorcera un déclin relatif indéniable (707 millions d’habitants en 2050 face aux masses démographiques de la Chine et de l’Inde), et des zones qui devront faire face à la croissance vigoureuse de la population, comme l’Afrique qui sera alors le continent de la jeunesse. Ainsi, selon l’auteur, « de la manière dont sont gérés, au cours des trente-cinq prochaines années, le déclin démographique européen et le doublement de la population africaine, dépendra la suite de l’histoire de l’humanité ».

En termes macroéconomique, le taux de croissance de l’économie mondiale devrait à l’horizon 2050 décliner peu à peu, du fait de l’arrivée à maturité des pays émergents. Le monde serait alors sensiblement plus riche avec un revenu par tête de 35 000 dollars, contre 15 000 dollars aujourd’hui, avec un peloton de tête des grandes économies constitué des Etats-Unis, de la Chine et de l’Inde (qui pèseront près de la moitié du PIB mondial à elles seules). D’ici 2050, la logique implacable du glissement tectonique de la richesse vers l’Asie se sera accentué, et l’Europe aura sévèrement reculé en termes de poids relatif, tandis que les inégalités resteront fortes. Ainsi, l’Afrique devra faire face au défi de sa croissance démographique pour espérer converger vers les niveaux de vie des économies émergentes.

Un lien vers la notion de croissance et de décroissance :

Le monde devra aussi affronter l’urbanisation galopante : les grandes cités devront gérer un afflux de population qui posera des problèmes redoutables de gouvernance pour maintenir une certaine qualité de vie aux habitants (et une stabilité politique).

L’effort d’investissement dans les équipements collectifs s’annonce considérable pour éviter en 2050 ce que certains analystes appellent une « bidonvilisation » du monde, avec environ 20% de l’humanité condamnée à une vie misérable dans les faubourgs des villes. Outre la poursuite de la mondialisation commerciale (malgré les tentations protectionnistes de certaines nations), la prise en compte du risque systémique dans la finance globalisée constituera un enjeu énorme : il s’agira d’ici 2050 à mettre en œuvre un système monétaire international qui contribue à la stabilité des échanges, ainsi que des mécanismes d’intermédiation financière suffisamment efficaces et puissants pour drainer l’énorme épargne des pays émergents vers des projets productifs.

Mais le véritable pari sera de prendre conscience des dérèglements du climat et de la raréfaction des ressources naturelles dans la conduite de nos politiques publiques et nos modes de vie : « en ce domaine aussi, nous entrons dans un nouvel âge : celui où l’homme, découvrant les limites de son jardin, devra renoncer à en user en propriétaire et en maître absolu au risque de les rendre infertile et rechercher son bonheur dans les joies plus simples de l’intendant, soucieux de le ménager et de le garder fertile pour ses enfants ».

Peut-être que le progrès technologique fulgurant nous permettra d’ici 2050 d’affronter ces questions environnementales : l’accès à l’information et les moyens de communication vont en effet poursuivre leur développement accéléré et gouverner nos modes de vie en transformant nos structures économiques. Il s’agira alors d’inventer des régulations politiques pour préserver nos libertés publiques et éviter que ces technologies ne tombent entre les mains de groupes violents. Le caractère multiforme de la menace terroriste en fait ainsi un problème commun pour l’Humanité.

Mais il n’en demeure pas moins que, selon Michel Camdessus et les experts de l’Emerging Markets Forum, et malgré les forces contradictoires à l’œuvre au sein de ces « hyper-tendances », elles devraient avoir un impact positif pour la vaste majorité des économies émergentes et en développement, et au final, pour le monde en 2050, à condition que chaque nation prenne sa part des efforts de coopération nécessaires pour répondre à ces défis universels, notamment en visant les Objectifs de développement durable (ODD) pour 2030.

Un lien vers un ouvrage de Jean-Hervé Lorenzi et Mickaël Berrebi :

Les priorités essentielles pour 2050

Michel Camdessus et les experts de l’Emerging Markets Forum, proposent cinq chantiers prioritaires pour bâtir en 2050 un monde plus « habitable ».

Tout d’abord, l’éradication de l’extrême pauvreté, « risque systémique ultime » : il s’agira de mener des politiques publiques d’inclusion sociale où la croissance n’est pas une fin en soi, mais un moyen pour lutter contre la pauvreté et favoriser les opportunités pour tous, afin de matérialiser les libertés constitutives d’une vie digne (concrétiser les « capabilités » au sens d’Amartya Sen). La lutte contre la pauvreté sera indissociable du combat contre les inégalités, qui nécessitera sans doute, en plus de politiques macroéconomiques et structurelles ambitieuses, une plus grande coopération internationale, surtout pour éviter que l’Afrique ne sombre dans la pauvreté alors qu’elle sera « le continent de la jeunesse du monde ».

Pour cela, il faudra affronter (en partenariat avec l’Europe notamment) des défis gigantesques : promouvoir l’inclusion, accélérer la transition démographique, renforcer le capital humain, faire face à l’urbanisation, transformer l’agriculture, inventer de nouveaux partenariats sur la question des migrations internationales…

Le deuxième chantier sera celui de la finance globalisée 

Selon Michel Camdessus et l’Emerging Markets Forum, il faudra d’ici 2050 se donner comme objectif « d’amener la finance dans ses divers métiers, à se comporter comme servante de l’économie, au lieu de servir ses propres intérêts ». La régulation du système financier après la crise majeure de 2007-2008 n’est qu’un work in progress, et il s’agira d’aller beaucoup plus loin en matière de régulation et de lutte contre les défaillances du secteur financier.
Outre un renouveau en matière d’éthique, il faudra non pas brider la finance, mais la réorienter vers sa fonction initiale et indispensable : collecter l’épargne pour financer des investissements collectifs dont le monde aura tant besoin dans les décennies futures, ainsi que favoriser la diffusion des services bancaires dans les pays émergents et en développement, et soutenir l’essor de la microfinance. Dans ces conditions, Michel Camdessus plaide pour une ambitieuse réforme du système monétaire international, appuyée sur un renforcement du Fonds monétaire international (FMI), avec un mandat élargi, un accroissement de ses ressources, et un rôle reconnu de prêteur en dernier ressort grâce aux droits de tirages spéciaux (DTS).

Le troisième chantier sera celui de la réforme de la gouvernance mondiale dans un monde multipolaire, afin de hisser en 2050 la mondialisation politique à la hauteur de la mondialisation économique et financière. Une refonte du G20 s’impose selon Michel Camdessus pour promouvoir une meilleure représentation des différents pays, et notamment des pays pauvres, en particulier pour faire face, le cas échéant aux crises de dettes souveraines. Car dans le monde de 2050, les problèmes auront plus que jamais une dimension systémique, et « le bien commun exige des gouvernements – réunis au sein des institutions multilatérales – de reconnaître que leur propre intérêt peut impliquer des concessions importantes à l’intérêt collectif ». Mais seul un G20 universalisé pourrait conduire cette indispensable entreprise collective, autant qu’une Organisation des nations unies (ONU) réformée qui laisse davantage de place aux pays émergents dans les instances décisionnaires.

Le quatrième chantier consistera à affronter la raréfaction des ressources de la planète et à faire preuve, collectivement, de davantage de sagesse, avec à la clé sans doute un bouleversement fondamental de nos schémas de pensée, de nos cultures et de nos valeurs dans un monde « fini ».

Un lien vers une note de lecture d’un ouvrage de Daniel Cohen 

Le cinquième chantier considérable qu’évoque Michel Camdessus et L’Emerging Markets Forum dans cet ouvrage est celui de « porter nos cultures à la hauteur de nos défis ». Avec un axiome de base : on ne peut séparer l’économique, le social et le politique de la culture. Il faudra dès lors changer notre rapport utilitaire à la nature, mais aussi accepter la diversité culturelle et se mettre en quête d’une économie du partage, travailler dans un esprit de tolérance à l’égard des autres nations, et s’appuyer sur la spiritualité pour faire œuvre de civilisation dans le monde qui vient.

 

Quatrième de couverture

 

Que sera notre monde dans une trentaine d’années ? Qui osera penser au-delà des prochaines échéances électorales, regarder au loin notre planète se dégrader et ses peuples s’entre-déchirer ?

Michel Camdessus, avec la complicité des experts de l’Emerging Markets Forum, relève le défi : pour faire mentir les prophètes de malheur qui nous annoncent un monde plus injuste et cruel, il faut convaincre nos dirigeants d’agir autrement. D’agir en tenant compte de l’avenir de nos enfants, c’est-à-dire en intégrant le fait que, dans un univers multipolaire et interconnecté, notre réussite dépendra étroitement de la réussite de tous les autres pays.

Or nous venons de vivre une « grande inversion » : les pays émergents représentent désormais plus de la moitié du PIB mondial. L’indifférence à leur égard n’est plus une option et c’est collectivement que nous trouverons des solutions. Comme le disait l’économiste Jean Boissonnat, « à force d’imaginer le bien, on finit par y contribuer ». Telle est l’ambition de ce livre.

 

L’auteur

Economiste, directeur du Trésor, gouverneur de la Banque de France puis directeur général du FMI, Michel Camdessus a participé en première ligne à toutes les grandes négociations économiques et financières des trente dernières années.

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