Un Monde d'entreprises. Rapport Anteïos 2009

David Colle (dir)

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L'ouvrage 

L'entreprise capitaliste, un genre protéiforme

Depuis la disparition des entreprises socialistes, qui assuraient pour l’Etat la production de biens sans en fixer le prix et selon les méthodes établies par le Plan, l’entreprise capitaliste est la seule demeurant au niveau mondial. Elle est définie comme « une organisation au sein de laquelle sont combinés des facteurs de production, capital (matériel, immatériel) et travail, de manière à produire des biens ou services susceptibles de satisfaire des besoins ou désirs exprimés ou latents, et ce afin de réaliser un ou des objectifs au premier rang desquels le profit », selon la définition proposée par David Colle (pp. 1-2). Les entreprises publiques, toutefois, n’ont pas disparu malgré une forte réduction depuis les années 70 après une période d’extension issue de l’après-guerre. Les pratiques contemporaines de management public, accompagnant les nouvelles approches du rôle de l’Etat, rapprochent néanmoins les entreprises publiques et privées, non dans leur finalité mais dans leur fonctionnement quotidien.
Cet ouvrage souligne combien l’entreprise échappe à ses théoriciens, marxistes aussi bien que libéraux, qui l’ont tous rêvée sans pouvoirs. Instrument du Plan, l’entreprise socialiste ne fixait ni les quantités de production, ni les salaires, ni les prix. Mais le marché, de manière analogue, dans la théorie des premiers libéraux, assure la détermination des niveaux optimums de production, de prix et de salaires. Le chef d’entreprise n’aurait donc guère plus de latitudes pour prendre des décisions ! Or, par opposition aux corporations médiévales qui se caractérisaient par une forte segmentation des marchés et par des restrictions à la croissance des structures de production, l’économie libérale est fondée sur l’initiative privée. « L’entreprise est symbole d’une volonté individuelle ou (plus souvent) collective, qui s’exerce de trois manières : la production, l’acceptation d’un risque, l’organisation » (p.11). Les trois histoires de grandes entreprises détaillées dans l’ouvrage démontrent bien la force de cette volonté. Vieille de plusieurs siècles, Saint-Gobain a tiré profit de la première puis de la deuxième mondialisation pour se transformer en conglomérat (Lapeyre, Point P, Isover…) spécialisé dans l’habitat. Les Mutuelles du Mans ont devancé la théorie économique en comprenant dès le début du 19ème siècle l’intérêt d’une approche localisée du risque. Google, enfin, a su mettre une innovation technologique fondée sur les algorithmes au service d’un nouveau modèle économique et social qui préfigure l’entreprise du 21ème siècle. 
Ces trois entreprises multinationales illustrent un phénomène majeur, celui de l’internationalisation. Souvent présenté comme contemporain, il est en fait déjà ancien, puisque les premières firmes internationales datent de la fin du 19ème siècle, avec ce que les historiens ont baptisé la première mondialisation. Mais la théorisation de ce fait empirique n’a démarré que dans les années 60, dès lors que les économistes se sont affranchis des cadres intellectuels posés par Ricardo, qui ne concevait que des échanges entre Etats-nations. Le développement des investissements directs à l’étranger (IDE) est lui aussi relativement ancien, mais a pris une ampleur nouvelle ces dernières années avec l’éclatement des lieux de production et le développement de nouveaux marchés attirant de nouvelles entreprises. Plus récemment, de nouvelles formes de structures multinationales sont apparues. Plus financières qu’industrielles, elles arbitrent à chaque instant entre tous les points du globe et fonctionnent en réseau, par ordres passés sur le marché mais sans IDE. Les entreprises des pays émergents se sont d’ailleurs invitées sur la scène des firmes multinationales ces dernières années. Fortes de positions peu contestées sur leurs marchés nationaux, souvent avec le soutien de l’Etat, elles rachètent leurs concurrents des pays occidentaux et élargissent leurs parts de marché à l’international.
 

Une organisation bouleversée

L’ouvrage coordonné par David Colle s’attache à décrypter les incidences de cette mondialisation des structures et des activités sur l’organisation des entreprises. Or, cet impact est avant tout financier. En effet, après la prise de pouvoir des managers dans les années 80, qui avaient rogné les marges de manœuvre des actionnaires sans augmenter les dividendes, le retour de balancier a été brutal. Les actionnaires ont mieux encadré les dirigeants et exigé des retours sur investissement élevés (les fameux 15 % annuels). 
C’est dans ce sens qu’il faut interpréter le développement des réflexions et des pratiques autour de la gouvernance d’entreprise. La grande variété d’actionnaires (les fonds d’investissement, d’autres entreprises non financières, mais aussi l’Etat ou les particuliers), aux intérêts divergents, rend le contrôle délicat. La présence d’un actionnaire dominant, en revanche, peut déboucher sur une moindre prise en compte des intérêts des actionnaires minoritaires. Les règles de corporate governance ont donc été élaborées pour mieux assurer les droits des diverses parties prenantes et pour encadrer le pouvoir de direction. Ces développements pratiques se sont accompagnés d’un renouveau des thèses économiques sur la relation entre le dirigeant d’entreprise et ses actionnaires. La traditionnelle théorie de l’agence insiste sur les intérêts contradictoires et sur la nécessité d’un contrôle resserré. D’autres approches qui ont mis l’accent sur l’apport de capital humain que représentent les actionnaires pour les entreprises (théorie de la dépendance des ressources) ou encore sur les intérêts convergents des administrateurs et des dirigeants vis-à-vis de l’extérieur (théorie de l’intendance) ont apporté d’autres éclairages sur cette question ancienne et consubstantielle à l’entreprise. L’ouvrage insiste sur la richesse de ces différentes théories et sur la nécessité de les combiner et de les alterner intelligemment pour élaborer une stratégie viable de l’entreprise en fonction du contexte dans lequel elle intervient.
Aucune voie, en effet, ne saurait être suivie de façon identique par toutes les entreprises indépendamment de leur situation propre ! Trois grandes variables peuvent être retenues pour caractériser cette situation : la concentration de l’actionnariat (la barre ici adoptée étant de 20 % du capital entre les mêmes mains), la turbulence du secteur (chocs réglementaires, cycliques, technologiques…) et la nature des actifs (poids du capital humain, taille de la clientèle…). Les deux premiers, en particulier, permettent d’affiner le rôle du conseil d’administration. Il devra être très soudé et très compétent dans une entreprise traversant des turbulences avec un actionnariat dispersé. Il aura en revanche à valoriser l’avantage compétitif de l’entreprise dans un contexte de turbulence mais avec un actionnariat concentré. L’apport de compétences spécifiques par des administrateurs indépendants sera prisé dans le cas d’un actionnariat resserré et de faibles turbulences. Un actionnariat concentré dans un contexte de fortes turbulences nécessitera, enfin, que les actionnaires activent leurs réseaux pour défendre les positions de l’entreprise.
 

Des stratégies à affiner

Dans un contexte de mondialisation des marchés, les entreprises se trouvent soumises à une concurrence nettement accrue, qui rend nécessaire l’élaboration d’une stratégie efficace. Les outils d’étude de marché prennent une importance toujours plus grande, et l’attention au cycle de vie se renforce. Des « produits-dilemmes », en démarrage de cycle, dont personne ne peut deviner l’avenir, aux « produits vaches à lait » ayant atteint leur rentabilité maximale, les entreprises doivent en permanence vérifier où en sont leurs produits sur le marché afin de préparer les produits stars de demain. La définition des prix dans un environnement mondialisé est tout aussi décisive, un écart de coût mais aussi d’image pouvant s’avérer fatal. Enfin, dans l’acheminement des produits vers le plus grand nombre, les acteurs de la distribution ont gagné un poids considérable. « Globalement, le changement d’échelle de la distribution a profondément modifié les normes de l’accès au marché des entreprises et les conditions de la concurrence. Le pouvoir de négociation des grandes chaînes est devenu considérable, à travers le poids de leurs centrales d’achat. Le terme « walmartisation » est parfois utilisé pour désigner cette aptitude du distributeur à imposer ses règles aux producteurs » (p. 266). L’entreprise devra donc s’interroger également sur le mode de distribution qui lui convient le mieux : soit l’assurer elle-même, soit la restreindre pour garder le contrôle, soit l’étendre au plus grand nombre au risque de ne plus maîtriser la relation avec le client final.

Nouvel équilibre financier et relations nouvelles avec les actionnaires, poids croissant des distributeurs, stratégies de marché compliquées par une concurrence accrue : Un Monde d’entreprises propose une analyse détaillée des mutations générées par la mondialisation sur l’organisation des firmes.
 

L'auteur

Cet ouvrage est coordonné par David Colle, professeur en classes préparatoires HEC, Sciences Po et ENA à Ipésup à Paris.

 

Table des matières

Introduction par David Colle

I - L'entreprise, acteur de l'évolution historique, économique et social
1. Du producteur à la firme. Visions de l'entreprise dans l'analyse économique par David Colle 
2. L'entreprise socialiste. Entre doctrine et dilemmes de l'organisation par Xavier Enselme 
3. L'entreprise publique dans l'économie de marché. Anciennes et nouvelles logiques par Patrick Lallemant 
4. Histoires d'entreprises. Saint-Gobain, Mutuelles du Mans, Google par Pierre Martin

II - L'entreprise, organisation économique
5. L'entreprise, organisation coercitive ou coopérative ? Vers l'intelligence collaborative par Brice Mallié et Fanny Barbier 
6. L'organisation financière de l'entreprise. Capital, comptabilité, stratégie financière par Xavier Enselme 
7. La gouvernance d'entreprise, une notion en évolution. Évolution des outils de pilotage des performances par Hugues Poissonnier 
8. La rémunération des dirigeants. Problème interne ou problème de société ? par Frédéric Teulon 
9. Actionnaires et dirigeants dans une économie mondialisée. Évolution des formes de conflits de gouvernance par Christophe Bonnet

III - L'entreprise et son environnement
10. Piloter l'entreprise dans une économie mondialisée. Environnement et gouvernance par Victoire de Margerie
11. Action commerciale et stratégies concurrentielles. Comprendre, influencer, susciter la demande par André de Seguin 
12. Au royaume de la stratégie. Interactions stratégiques, ententes, concentrations par David Colle 
13. Entreprises et pouvoirs publics, une collusion à craindre ou à promouvoir ? Entretien avec Christian Pierret

IV - Un monde d'entreprises ?
14. Les firmes multinationales. De l'internationalisation à la globalisation par Renaud Chartoire et Jean-Pierre Noreck 
15. Les entreprises des pays émergents. Le capitalisme exacerbé ? par Rodolphe Greggio et Benoît Maffei 
16. La diversité des modes d'organisation dans une économie développée. Dissolution ou recomposition de l'entreprise ? par Claude Ménard

Conclusion : L'entreprise demain. Organisation, institution ? par David Colle 
Notes

 

Quatrième de couverture

L'analyse économique a longtemps négligé l'entreprise, réduite à un instrument d'exploitation hérité de l'histoire pour les uns, à une fonction d'allocation de ressources en capital et travail donc à un instrument du marché pour les autres. En réalité, l'entreprise est un lieu de pouvoir cherchant à se doter des capacités d'agir sur le marché. L'actualité conforte cette nouvelle vision en un temps où la mondialisation remet en question le rôle de l'État-nation. Cet ouvrage sui rassemble des universitaires enseignants en classes préparatoires et des professionnels, envisage le passé, le présent et le devenir de l'entreprise d'un point de vue historique, social et économique pour témoigner de son rôle.

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