Qui gouverne l'entreprise en réseau

Fabien Mariotti

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L'ouvrage

Omniprésents, les réseaux d'entreprise ont été observés par les économistes aussi bien que les sociologues. Dans un monde réputé connaître une concurrence accrue le développement des réseaux d'entreprise interroge l'observateur, qui ne sait que penser de ces objets paradoxaux, espaces de coopération conçus pour mieux affronter la concurrence.

Le livre de Fabien Mariotti qui reprend une partie des travaux qu'il a accomplis dans le cadre d'une thèse de doctorat en sociologie s'intéresse au mode de fonctionnement des réseaux et à la distribution du pouvoir en leur sein. Plus précisément, son étude porte sur les réseaux de sous-traitance, qui lient un donneur d'ordre et un ensemble de sous-traitants. A la manière d'un Chandler qui dans la main visible des managers analysait l'émergence de la grande entreprise intégrée, F. Mariotti réalise un travail d'observation et d'analyse inductive du réseau.

Pour bien fonctionner le réseau nécessite d'importants investissements relationnels entre les équipes des deux entreprises qui coopèrent. La coopération n'est pas instantanée, elle demande du temps, un apprentissage du "travailler ensemble" étant nécessaire. Le réseau n'est donc pas une solution aussi flexible qu'elle est réputée l'être. Mariotti expose comment sont sélectionnés les sous-traitants : dans certains cas, les entreprises sont soumises à des tests. On leur demande de préparer une pièce non stratégique pour vérifier la qualité du travail fourni, la fiabilité du futur partenaire. L'importance du sous traitant est telle que le donneur d'ordres répugne à s'engager à la légère, et qu'une fois engagé, " il est ici comme partout ailleurs toujours fâcheux de parler de divorce ". Les investissements relationnels renforcent la relation entre les deux parties. En même temps, et c'est un point-clé de la thèse de l'auteur, les donneurs d'ordre élaborent des stratégies pour contrôler leurs partenaires

Pour autant, l'existence de liens non marchands entre donneur d'ordres et sous traitant ne conduit pas le premier à abandonner toute forme de relations marchandes avec le second. Contrairement à ce que l'on pourrait penser, les relations réticulaires n'amoindrissent pas la concurrence entre entreprises. La régulation marchande se déroule en deux temps successifs que sont les processus de sélection (des sous traitants par le donneur d'ordres) et d'allocation (des tâches aux mêmes). En effet le donneur d'ordres choisit les entreprises avec lesquelles il va travailler et la quantité de travail qu'il souhaite leur confier. A tout moment, le sous traitant intériorise la multiplicité des concurrences : celle des autres sous traitants, d'entreprises tierces ceux qui pourraient le devenir, voire dans certains cas celle constituée par le donneur d'ordre lui même ou une de ses filiales. Autrement dit, le partenariat ne peut exister que parce que la régulation marchande fait peser une sorte de menace. Et Fabien Mariotti de constater "la présence d'intenses mécanismes concurrentiels là où la simple observation ne semblait voir que leur absence. Autrement dit, la distinction analytique entre le processus d'élection et de sélection pour décrire la relation de marché [montre] comment la concurrence et la coopération entre clients et fournisseurs sont rendues compatibles".

Pourtant, Mariotti s'oppose à une vision qui opposerait le gros donneur d'ordre à de petits sous traitants en concurrence, leur dictant unilatéralement sa loi. La construction des relations de réseau est le fait de tous les acteurs en présence, donneur d'ordre ET sous traitants, qui peuvent fort bien tirer leur épingle du jeu, comme le rappelle l'importance croissante de certains équipementiers automobiles ou le marché de la sous-traitance en fonderie. Ces régulations marchandes n'épuisent pas les dispositifs de contrôle à l'œuvre dans les réseaux. Fabien Mariotti répertorie ainsi une véritable panoplie d'outils allant de la normalisation à certaines formes d'organisation (le projet) en passant par les outils de gestion des flux ou la prise de parole.

Ayant décrit le mode de fonctionnement des réseaux, l'auteur s'intéresse à la raison de leur émergence, rejetant les explications avancées le plus souvent que celles-ci reposent sur des considérations de coûts ou sur les compétences. Dans la foulée, il critique la notion de cœur du métier, montrant à quel point la définition de ce dernier varie opportunément au gré des circonstances pour avancer ce qu'il nomme une hypothèse politique : " toutes les stratégies d'externalisation et de sous-traitante pourraient s'interpréter comme autant de tentatives du donneur d'ordres – premier gardien de la cohérence du réseau – pour maintenir, sinon pour accroître son pouvoir sur ses partenaires ". Les partenaires ne sont pas forcément assujettis, dans un réseau tout le monde peut peser sur la répartition des tâches, rien n'est figé.

Au final, le tableau dressé par l'auteur est pour le moins subtil, refusant d'adopter un point de vue théorique a priori, il débouche sur un univers où des catégories qu'on oppose souvent se trouvent sinon réconciliées, du moins simultanément présentes. Ainsi en est-il du lien entre concurrence et coopération ou entre marché et organisation.

Comme c'est souvent le cas avec les thèses publiées, on pourra regretter la place prise par certains développements académiques, indispensables pour un travail universitaire, mais qui rendent la lecture plus difficile. Toujours est-il que l'entreprise apparaît dans ce livre sous un nouveau jour. La main visible des managers n'a pas vraiment disparu avec le passage de l'entreprise intégrée à l'entreprise en réseau. Ses modes d'intervention ont juste changé. Le manager d'aujourd'hui gère les relations au sein d'un réseau, afin de préserver et de renforcer le pouvoir de son organisation. Parallèlement, le sous-traitant devient un acteur central de la vie économique. Face à ces évolutions et aux défis qu'elle pose, le droit tarde à réagir. La lecture de ce livre, et ce n'est pas le moindre de ces mérites, engage à renouveler nos représentations.

L'auteur

Diplômé de l'INPG, il est docteur en sociologie. Sa thèse soutenue en 2003, a été consacrée à l'étude des relations interentreprises et des organisations en réseau en France et au Canada. Il a collaboré avec le laboratoire Cristo à l'Université de Grenoble et avec l'institut de recherche sur les PME à l'Université de Québec à Trois Rivières. Il travaille actuellement au sein de l'industrie aéronautique.

Table des matières

Introduction

Chapitre 1 : Le réseau une généalogie

Chapitre 2 : L'entreprise réseau au concret

Chapitre 3 : Trois portraits de l'entreprise réseau

Chapitre 4 : Organiser la concurrence

Chapitre 5 : Le contrôle en pratiques

Chapitre 6 : L'hypothèse politique

Chapitre 7 : Entre agilités et fragilités

Quatrième de couverture

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