Made in monde

Suzanne Berger

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L'ouvrage

Alternativement considérée comme la source de tous nos maux et le vecteur de notre prospérité, la mondialisation est plus souvent jugée qu'étudiée. Le dernier ouvrage de Suzanne Berger propose une synthèse des travaux conduits par l'Industrial Performance Center du Massachussets Institute of Technology. Une enquête colossale, qui a conduit ces chercheurs à interroger, durant plusieurs années, 500 dirigeants d'entreprises aux Etats-Unis, en Europe et en Asie. Trois secteurs ont été privilégiés : l'automobile, le textile et l'électronique. Un choix qui ne relève à l'évidence pas du hasard. Industries créatrices d'emplois et de richesses dans les pays occidentaux jusqu'à une époque assez récente, ces activités ont été bouleversées par la mondialisation et ont fait l'objet d'études mais surtout de discours médiatiques et politiques à l'heure où elles semblent se redéployer dans d'autres zones géographiques, principalement en Asie.

Soucieuse de répondre par une démarche scientifique aux critiques formulées à l'encontre du processus de mondialisation, Suzanne Berger repart des causes, là où souvent ne sont mises en avant que les conséquences. L'étude porte avant tout sur les modes d'organisation de la production dans les entreprises.

Les faits principaux sont connus. A la faveur de l'ouverture des marchés et des progrès spectaculaires accomplis dans les secteurs des transports et des télécommunications, les entreprises ont eu la possibilité de produire partout dans le monde. Par une jolie métaphore, Suzanne Berger souligne que la production est passée du modèle de la maquette d'avion au modèle du jeu de lego. Dans les années 80, les différents éléments nécessaires à la production ne pouvaient être assemblés que selon une seule procédure, même s'ils pouvaient provenir de différentes zones géographiques. Désormais, ces éléments peuvent être mariés selon une infinité de procédures – ce que Berger nomme la modularisation. Les entreprises ont désormais tendance à se spécialiser. Les grands groupes à intégration verticale, apparus aux Etats-Unis à la fin du 19ème siècle, semblent progressivement disparaître. Poursuivant un impératif de baisse des coûts, les entreprises sont donc poussées à s'établir là où elles pourront assurer le mieux la fonction qu'elles choisissent.

Faut-il pour autant en conclure, à la lumière des délocalisations récentes, que celles-ci constitueraient le mode unique et inéluctable d'organisation des entreprises au 21ème siècle ? C'est précisément l'idée que combat l'ouvrage de Suzanne Berger, qui s'attache à démontrer que la délocalisation n'est ni nécessaire ni suffisante à la réussite d'une entreprise.

Tout d'abord, le salaire horaire, souvent mis en avant pour justifier le mouvement de délocalisation, ne correspond pas au coût unitaire du travail, lequel intègre la productivité. Celle-ci est en effet bien plus importante dans les anciennes régions industrielles, où les salariés connaissent leur travail sur le bout des doigts et sont attachés à leur entreprise, que dans des pays en développement nouvellement industrialisés. De plus, la délocalisation d'une fonction de l'entreprise (en particulier une fonction productive) nécessite un investissement lourd (installations sur place, formation du personnel, recrutement de personnel encadrant, salaires des expatriés…). Enfin, la sous-traitance confiée à des entreprises installées dans des pays en développement peut poser des problèmes de concurrence et de confidentialité, certains entrepreneurs hésitant à faire naître leur concurrent de demain. Ces différents arguments n'ont évidemment pas pour objectif de démontrer une quelconque irrationalité des délocalisations, mais permettent d'expliquer pourquoi certaines entreprises ne délocalisent pas ou conservent la production en interne. Ils soutiennent le raisonnement général de Suzanne Berger, qui veut qu'il n'y ait pas un mais des modèles de réussite, et que les entreprises n'ont pas de stratégie contrainte dans l'univers mondialisé.

Une illustration concrète de cette diversité des stratégies est apportée par l'étude de trois grands noms de l'informatique, dont l'équipe du MIT a rencontré les dirigeants : IBM, Dell et Sony. IBM a construit sa fortune sur la commercialisation de ses ordinateurs. Pourtant, l'entreprise a choisi il y a quelques années de céder l'activité de production, devenue déficitaire, pour se spécialiser dans les services haut de gamme. Dell a en revanche conservé cette activité. L'entreprise s'est spécialisée dans la commercialisation d'ordinateurs sur mesure. L'assemblage final s'effectue aux Etats-Unis (pour le marché américain), mais l'ensemble des pièces provient de sous-traitants asiatiques. Sony, enfin, est la plus intégrée des trois. Elle recourt peu à la sous-traitance, par peur de la concurrence, mais aussi en raison de la perte de réactivité qu'entraîne l'instauration d'un maillon supplémentaire dans la chaîne de production. Dans un tout autre secteur, le textile, le même raisonnement a conduit l'entreprise espagnole Zara à conserver ses sites de production en Espagne, quand la plupart de ses concurrents ont délocalisé. Zara est aujourd'hui la seule enseigne à proposer un renouvellement de ses magasins toutes les deux semaines, grâce au contrôle absolu que la marque exerce sur l'activité de production. Deux exemples qui démontrent qu'il y a d'autres voies de développement que la délocalisation et qu'une entreprise peut rationnellement choisir de ne pas délocaliser.

Parmi les motivations pouvant conduire une entreprise à rester sur son lieu originel de production, l'environnement joue également un grand rôle. L'exemple des clusters italiens du textile, très développé dans l'ouvrage, est à ce titre parlant. Proches d'une des capitales mondiales de la mode, Milan, les entreprises peuvent capter les tendances et bénéficier de la très haute qualification de la main-d'œuvre, ainsi que de l'environnement productif stimulant. Ces clusters ont connu un succès remarqué, que la France essaye actuellement d'implanter via le processus de pôles de compétitivité.

A travers une série de cas concrets, Suzanne Berger dessine donc le portrait d'une économie moins monolithique que ne le laisserait penser l'image dominante de la mondialisation. Sa pensée se fraye un chemin entre deux modèles, celui de la convergence des modes de production et de management et celui des variétés nationales du capitalisme. "Le modèle convergent voit juste lorsqu'il identifie les pressions concurrentielles dans nos économies (…). Mais le modèle des variétés nationales du capitalisme a raison de prédire que ces pressions auront des conséquences différentes d'un pays à l'autre et que même les tendances communes entraîneront des réactions et des stratégies diverses" (pp. 60-61).

Le discours de Suzanne Berger, issu d'un riche travail empirique, se veut donc mesuré sur la mondialisation. Elle n'est à l'évidence pas cette déferlante imparable décrite par ses adversaires, puisqu'elle résulte de choix rationnels des entreprises. Elle n'est pas non, selon l'auteur, exempte de risques pour les économies occidentales, confrontées à une atonie du marché de l'emploi depuis plusieurs années, alors même que la croissance (surtout américaine) est vigoureuse. L'analyse porte donc en elle un appel à la réactivité des économies nationales. La concurrence avec les pays émergents est loin d'être en leur défaveur, si elles trouvent les leviers d'une compétitivité accrue susceptible de retenir et d'attirer les entreprises.

L'auteur

Suzanne Berger est professeur de science politique au MIT (Massuchets Institute of Technology – Cambridge, Etats-Unis) dont elle dirige l'International science and technology initiative. Elle a notamment publié Notre première Mondialisation (La République des Idées / Seuil, 2003) et Made in America (dir. Michael L. Dertouzos, Robert M. Solow et Richard K. Lester, Paris, Interéditions, 1990).

Table des matières

Préface de l'édition française
Première partie – Promesses et dangers de la mondialisation
Chapitre I : Qui a peur de la mondialisation ?
Chapitre II : La mondialisation telle que nous la voyons

Deuxième partie – La production comme jeu de Lego
Chapitre III : La grande rupture
Chapitre IV : "Le nouveau modèle américain"

Troisième partie – Les nouvelles frontières de la production
Chapitre V : Le dilemme : rester ou partir ?
Chapitre VI : Fabriquer moins cher

Quatrième partie – Réussir dans un monde modulaire
Chapitre VII – Suivre les stratégies de la base vers le sommet
Chapitre VIII – Les fonctions observées au microscope

Cinquième partie – Fabriquer chez soi ou à l'étranger ?
Chapitre IX – Made in America ?
Chapitre X – Construire son héritage

Sixième partie – Comment réussir dans l'économie globale ?
Chapitre XI – Les leçons du terrain
Chapitre XII – Au-delà de l'entreprise

A propos de quelques termes peu familiers
Remerciements

Quatrième de couverture

Made in monde : voilà ce que nous pourrions lire sur les poupées du futur. Elles auront été dessinées aux Etats-Unis ; leurs cheveux, confectionnés au Japon ; leurs vêtements, conçus en France; le mini-ordinateur qui leur donnera la parole, programmé en Inde ; leur corps en vynil, moulé à Taiwan à partir d'éthylène dérivé du pétrole saoudien ; et le tout, assemblé en Chine.
Cette nouvelle géographie, nous la redoutons. Nous lui associons la course aux bas salaires, les délocalisations, le chômage… On nous explique par ailleurs que la mondialisation ne nous laissera pas le choix, qu'il faudra nous aligner sur un modèle unique, sous peine de disparaître.
Rien n'est plus contestable. C'est ce que démontre ici Suzanne Berger. Au terme d'un périple de cinq années en Amérique, en Europe et Asie, et d'enquêtes conduites auprès de 500 entreprises, ses conclusions bousculent les représentations les mieux installées : la seule course aux bas salaires est une stratégie perdante ; les délocalisations peuvent conduire au succès, mais d'autres succès empruntent des chemins plus classiques et tout aussi innovants; les frontières s'estompent, mais les héritages nationaux continuent de jouer… Oui, l'économie se mondialise. Non, elle ne nous vole pas notre liberté.

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