L’intelligence de l’entreprise

Felix Torres

L'ouvrage

Dans la préface du livre de Félix Torres, le Président de l’Institut de l’Entreprise, Xavier Huillard, revient sur l’ambition fondamentale de ce cercle de réflexion : « élaborer une vision partagée de l’entreprise et de son rôle dans la société ». De nos jours, l’entreprise fait plus que jamais face à un environnement incertain et instable, et Xavier Huillard insiste sur l’urgence qu’il y a à « penser l’entreprise », pour permettre aux chefs d’entreprise de peser et d’agir sur les transformations du monde, à l’heure où de nombreux jeunes sont désireux soit de créer leur propre entreprise, ou de s’y insérer et s’y épanouir. Le regard de l’historien est particulièrement utile pour comprendre comment les chefs d’entreprise ont mis en œuvre cette démarche collective, cette pensée en mouvement : c’est tout l’intérêt de l’ouvrage de Félix Torres qui évoque la raison d’être de l’Institut de l’Entreprise, un cercle de réflexion des entrepreneurs né en 1975. François Dalle, un des fondateurs de ce think tank en résumait ainsi la nécessité dès l’origine : « il y a un constat : quotidiennement engagé dans l’action, l’homme d’entreprise n’est pas fondamentalement un conceptuel. C’est un expérimentateur : il essaie, il cherche, il tâtonne. C’est un pragmatique ». Dès lors, tout en étant à l’écoute du monde qui l’entoure, mais engagé dans le tourbillon de la concurrence et de la gestion quotidienne de son entreprise, il a besoin d’élaborer un regard propre sur les évolutions en cours et donner à les faire partager. L’objectif des cercles de réflexion comme l’Institut de l’Entreprise est ainsi de fédérer une pensée collective autour de grandes thématiques concernant l’entreprise, son environnement, et son devenir : l’homme et les relations humaines entre les parties prenantes, l’Etat, le marché, le progrès technique, les valeurs de la communauté humaine qu’elle forme, la compétitivité, etc. C’est ainsi, comme le rappelle Félix Torres, que l’Institut de l’Entreprise a largement contribué depuis une quarantaine d’années au débat public en diverses occasions, sur tous les thèmes qui concernent l’entreprise française et son environnement au sens large, dans le cadre européen et celui de la mondialisation.

 

La place de l’entreprise dans la mondialisation

Sur le plan des idées, Félix Torres insiste sur ce qu’il nomme le « libéralisme tempéré » de l’entreprise française. Si la réflexion patronale a certes défendu farouchement les principes libéraux depuis les années 1970, elle n’a pour autant jamais milité pour la suppression du modèle social français et de l’Etat providence, même si elle en a certes souhaité en montrer les failles et les signes d’essoufflement. Le monde de l’entreprise a besoin d’analyses roboratives du contexte dans lequel son action se déploie, surtout dans un capitalisme globalisé de plus en plus complexe à saisir, où la montée en puissance des pays émergents et la révolution numérique renforcent encore le besoin de prendre du recul sur les mutations en cours. Dès sa création, l’Institut de l’Entreprise s’est voulu un lieu d’échanges ouvert, de débats et de rencontres entre les responsables de l’entreprise, ceux du monde politique et syndical, de la presse, de l’enseignement et de la culture. A partir des années 1980, comme le rappelle l’auteur, les pouvoirs publics ont mis en avant l’entreprise comme une solution incontournable à la crise : de nombreux rapports évoquent alors la nécessité de « réhabiliter l’entreprise », dans un contexte d’accélération de l’ouverture de l’économie nationale sur le marché mondial et d’un certain désengagement de l’Etat de la production. L’idée que l’entreprise constitue un centre de création de richesses et d’innovation indispensable à la croissance gagne du terrain chez les décideurs politiques, et la thématique de la compétitivité et du redressement de l’économie s’impose alors de manière assez consensuelle dans un univers de plus en plus concurrentiel. L’Institut de l’Entreprise, par le biais de ses diverses publications, insiste alors sur la capacité des pouvoirs publics à créer un environnement favorable à la performance des entreprises françaises au nom de l’efficacité économique.

Félix Torres insiste sur cette évolution importante dans le monde des idées en France : le développement des « réservoirs d’idées » sur le modèle anglo-saxon, les think tanks qui émergent dans la société civile et contribuent à la structuration du débat public avec les partis politiques et les intellectuels. L’institut de l’Entreprise contribue dès lors selon l’auteur à une « tradition de confrontation et d’argumentation des intérêts et arguments de différents groupes d’acteurs dans un espace politique animé par un débat public contradictoire », malgré une culture française centraliste et verticale, davantage portée à l’homogénéité de la formation des élites administratives par le biais des grands corps, avec le rôle des cabinets ministériels, qui laissent peu de place à l’expertise externe. Mais les grandes entreprises françaises, plongées dans la concurrence internationale, ont ainsi souhaité peser davantage dans le débat français, notamment et l’Institut de l’Entreprise a ainsi publié de nombreux rapports, expertises et analyses sur les contraintes auxquelles elles sont désormais confrontées, mais aussi sur d’autres thèmes, comme le dialogue social, la responsabilité sociétale et environnementale des entreprises, la construction européenne, etc. Il s’agit de donner des éléments de décision aux responsables et relais d’opinion pour enrichir le débat sur les grands enjeux de société. L’Institut de l’Entreprise constitue également un pôle de rencontres où les opinions des décideurs et divers acteurs se confrontent, et un lieu de formation sur les enjeux de l’entreprise et de l’économie de marché à destination de différents publics : fonctionnaires, politiques, syndicalistes, professeurs de l’enseignement secondaire…

Félix Torres rappelle que le programme Enseignants Entreprises, permettant de faire dialoguer les professeurs de Sciences économiques et Sociales et les acteurs du monde de l’entreprise, a ainsi rencontré un incontestable succès depuis sa création, avec les chiffres de fréquentation du site Melchior et les rencontres annuelles Enseignants Entreprises, dont l’attractivité ne se dément pas au fil des années sur les différents thèmes proposés.

 

Quelle entreprise après la crise ?

Félix Torres analyse ensuite comment l’Institut de l’Entreprise a abordé la question de l’entreprise dans le monde depuis la crise de 2008. Face à la remise en cause globale du système capitaliste, souhaitée par certains, l’Institut de l’Entreprise a plaidé au contraire pour un retour à l’inspiration originelle du capitalisme : si l’intervention de l’Etat est ponctuellement nécessaire pour rétablir la confiance sur les marchés et relancer la croissance économique, la création de richesses est d’abord est avant tout apportée par les capacités d’initiative des individus, leur travail et le capital apporté par les actionnaires privés. L’Etat peut contribuer à l’innovation (par ses dépenses publiques de recherche par exemple), mais c’est avant tout l’esprit d’entreprise qui est à même de créer de la valeur. La crise financière de 2007 a réactivé la thématique de la « moralisation du capitalisme » (et des acteurs de la finance), censée mettre un terme au « capitalisme de casino » dont parlait Keynes, où la spéculation l’emporte sur l’investissement productif. Selon l’Institut de l’entreprise (Après la crise : renouer avec les fondements de l’économie de marché, Les notes de l’institut, Avril 2009), les dérèglements observés justifient de revenir aux « fondamentaux » de l’économie de marché et du capitalisme (les deux étant indissociables) : recréer des modes de croissance limitant les risques de l’endettement (notamment pour les banques), réformer la finance pour la mettre au service de l’élan entrepreneurial, consolider un actionnariat de long terme qui permette aux firmes de mettre en œuvre des projets durables, enfin promouvoir une entreprise citoyenne et éthique dans le cadre d’un affectio societatis (volonté commune de s’associer) qui prenne en compte tous les intérêts des parties prenantes de l’entreprise (actionnaires, salariés, clients fournisseurs). Félix Torres rappelle que l’Institut de l’Entreprise défend l’idée que la remise en cause globale du capitalisme pourrait avoir des conséquences désastreuses sur la croissance économique et le bien-être collectif. Le retour au protectionnisme commercial aboutirait à réduire les bénéfices tirés de la mondialisation de l’économie, tandis que le retour au contrôle étroit des mouvements de capitaux freinerait l’activité. Dans ce cadre, la légitimité historique de l’économie de marché doit être réaffirmée dans la mesure où ce système a démontré son efficacité et sa capacité à tisser des liens étroits avec la liberté et la démocratie : il est à l’origine des progrès économiques considérables du monde occidental, et du décollage de nombreux pays émergents, dans lesquels des centaines de millions d’êtres humains sont sortis de la pauvreté extrême. Comme le souligne l’auteur, le think tank de l’entreprise poursuit ainsi la défense d’un renouveau libéral, tempéré, pragmatique et humaniste. L’institut plaide en particulier pour les valeurs d’éthique dans l’entreprise, le travail, et l’esprit d’entreprise, afin de renforcer sa légitimité dans la société. L’enjeu n’est pas seulement d’améliorer les relations entre la sphère publique et le monde de l’entreprise, mais aussi de penser une entreprise en phase avec son environnement économique social et environnemental.

 

Quatrième de couverture

« Les patrons réfléchissent- ils ? » « Y a t- il une pensée collective de l’entreprise française – et si oui, laquelle ? » Si l’économie et l’organisation des sociétés françaises, le monde patronal et son représentant privilégié, le MEDEF, sont des sujets bien connus, celui de la pensée entrepreneuriale et des grands thèmes qui la structurent dans la durée l’est beaucoup moins.

Le principal lieu de réflexion collectif de l’entreprise française est sans nul doute l’Institut de l’entreprise, créé en 1975 dans le sillage de renouveau de l’entreprise française provoqué notamment par Mai 1968, rejoint à partir des années 2000 par plusieurs clubs de réflexion et autres think tanks. Cercles de réflexion, boite à idées, lieux de sociabilité tout court, ils structurent tout autant une philosophie de l’entreprise qu’un champ de réflexion et d’action collectif, ils forgent une intelligence de l’entreprise au sens fort du terme. Dont les thèmes clés restent étonnamment stables au fil des ans : faire dialoguer entreprise et société ; réfléchir à un meilleur rôle de l’homme dans l’entreprise ; appuyer la mondialisation nécessaire des sociétés françaises ; améliorer l’efficacité de l’État providence dans une perspective résolument libérale. Celle d’un libéralisme tempéré à la française, à mi-chemin entre les capitalismes Anglo-Saxon et allemand, conjuguant solidarité et réforme du rôle de notre État.

 

L’auteur

Félix Torres est ancien élève de l'École normale supérieure, agrégé d’histoire, historien et anthropologue, directeur du cabinet Public Histoire, Félix Torres est spécialiste de l’histoire des entreprises françaises et de l’économie de la mondialisation. Il a réalisé de nombreuses histoires d’entreprises françaises et mondiales : Alcatel Alsthom, BNP Paribas, EDF, L’Oréal, Safran, Schneider Electric, Seb…

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