L'Individualisme est un humanisme

François de SINGLY

 

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L'ouvrage 

Après d'illustres sociologues et quelques philosophes, François de Singly reconnaît dans la montée de l'individualisme un trait caractéristique de la société moderne. Si beaucoup y voient un phénomène regrettable et dangereux, F. de Singly choisit non seulement d'en minorer les inconvénients mais encore d'en souligner la cohérence propre. L'individualisme montant ne promettrait nullement la corruption et la perte de la société comme le prophétisent les nostalgiques de l'ordre ancien. Au contraire, il contribuerait à la constitution toujours indispensable du lien social, fût-ce sous une forme renouvelée.

La question du lien social renvoie aux origines mêmes de la sociologie. Notamment à Emile Durkheim lorsqu'il s'est penché sur le suicide et ses causes. Dix ans plus tôt, en 1887, le sociologue allemand Ferdinand Tönnies formalisait deux modèles de sociétés distincts : la communauté d'une part, renvoyant aux sociétés holistes, et la société désignée comme telle descriptive des sociétés modernes. Dans le premier cas de figure, les liens organiques, familiaux d'abord, priment. Dans le second cas, c'est la séparation entre les individus qui prévaut. Tönnies écrit : " dans la communauté , [les humains] restent liés malgré toute séparation, ils sont, dans la société, séparés malgré toute liaison "

La question du lien social n'a cessé depuis d'innerver la sociologie. Aujourd'hui encore, elle sous-tend la majeure partie des interventions portant sur l'organisation sociale telle qu'elle est ou telle qu'on voudrait qu'elle soit. La problématique principale étant de savoir comment concilier liberté et régulation d'une société atomisée guettée par l'anomie.


De la société holiste à la société moderne
 

Les formes traditionnelles de l'organisation sociale propres aux sociétés holistes cantonneraient les individus dans la soumission à des autorités supérieures renvoyant au passé. L'autorité structurerait un édifice cohérent tenu par un système vertical de légitimités hiérarchisées : par exemple, Dieu, le Roi et le père. Cellule de base, la famille sert de fondation à l'édifice. Histoire commune et enracinement le confortent. Dans un tel schéma, les personnes se plient au rôle qui leur a été assigné au sein de leur famille même, de corps et de communautés intermédiaires (un métier, une ville ou un village) et en définitive de la communauté nationale.  

L'esprit des Lumières et la Révolution française auraient permis l'émancipation des individus vis-à-vis du passé et des diverses figures de l'autorité, en particulier celle du père. La désaffiliation caractériserait la société moderne. Les individus ne vivraient plus dans la révérence permanente à une appartenance communautaire et un héritage mais échapperaient au contraire à toute assignation pour s'épanouir dans l'élection. D'où l'idée que l'individualisme irait de pair avec une dissolution du lien social. Pour F. de Singly, cette interprétation qui trahit une inclination proprement passéiste néglige la reconstitution du lien social sous de nouvelles formes. Certes la modalité la plus fondamentale du lien social, celle des relations nouées au sein d'une famille structurée, stable, conforme à un modèle légitimé par sa reconduction siècle après siècle, est partiellement dissoute. Le marché lui-même tendrait à promouvoir des individus "détachés". Mais la constitution de liens nouveaux, durables ou non, moins robustes isolément mais plus nombreux, fondés notamment sur l'amitié ou sur l'amour, viendraient comme autant d'heureux substituts. Ainsi, dans les sociétés modernes, les individus se construiraient une identité "fluide" et "multidimensionnelle".

L'auteur suggère d'ailleurs une mise à jour de la devise républicaine qui consisterait à remplacer la fraternité, chargé du poids de la légitimité familiale, par l'amitié. Celle-ci étant plus conforme à la réalité de la société contemporaine dans laquelle l'individu se construit par le biais de relations interpersonnelles choisies plus que subies. Qu'elles soient amicales, amoureuses ou contractuelles, ces relations comprennent leur lot de contraintes. Mais ces contraintes sont mieux acceptées et davantage profitables pour avoir fait l'objet d'une validation préalable. En d'autres termes, l'individu sélectionne les formes d'autorité auxquelles il accepte finalement de se soumettre. Par-là, il ne rejetterait pas systématiquement l'héritage des générations passées mais se réserverait le droit d'en faire l'inventaire avant d'en adopter une partie par libre consentement. Applicable aux collectivités nationales comme aux individus, cette démarche est pour l'auteur abusivement assimilée à l'effacement du passé.

Pour F. de Singly, le travail de mémoire ne devrait pas consister à idéaliser le passé mais à l'actualiser. C'est parce qu'elle est partielle et consciente que l'appropriation du passé par les individus est constructive. L'auteur livre une illustration audacieuse de cette appropriation sélective lorsqu'il affirme que la recrudescence des incendies de voitures, la nuit du 31 décembre, dans certains quartiers de Strasbourg, s'expliquerait en partie par la prégnance de l'ancien rituel du carnaval consistant, à l'issue des célébrations de mi-carême, à brûler le char du défilé aussitôt celui-ci terminé.  


Alter-individualisme ?
 

 

En réévaluant positivement l'individualisme, l'auteur vient contredire les penseurs réactionnaires qui dans le sillage d'Edmund Burke ont tout au long du XIX° siècle récusé l'œuvre des lumières et de la Révolution. Il s'oppose également aux auteurs qui ont cru utile ces dernières années de remettre en cause la "pensée 68". Alain Finkielkraut, cité à maintes reprises, est premièrement visé. Son approche est qualifiée de manichéenne pour ne laisser qu'une alternative : une acceptation inconditionnelle du passé ou son refus systématique. A la déploration, au regret plus ou moins explicité d'un passé idéalisé, F. de Singly oppose un individualisme à visage humain.

En phase avec le temps présent, il ouvre ainsi la voie à un relativisme de fait. Acceptant l'essentiel de la société telle qu'elle vient. Ce qui aboutit par exemple à proscrire certains jugements de valeur sur le frivole et le sérieux, le grand et le petit. Telle vedette du show business aurait toute légitimité à occuper deux pleines pages de tel quotidien du soir en dépit des protestations de certains lecteurs. Les "bonnes manières", reflets d'une politesse ancienne, bourgeoise et figée, se verraient remplacées par une "autre politesse" tout aussi acceptable. Egalement recevable, une "autre civilité" s'imposerait. Surtout, " un autre lien social est possible ". Reprenant en forme de réminiscence le slogan altermondialiste : " Un autre monde est possible .".

En introduction, l'auteur présente son ouvrage comme l'expression d'un " double refus : celui du modèle du tout libéral, de l'individu ballotté par le marché ; celui du modèle du tout enracinement dans une communauté d'appartenance " . Or, à trop vouloir prêcher le "ni-ni", on débouche sur un entre-deux quelque peu émollient. A force de vouloir réconcilier passé et présent, présent et avenir, attachement et détachement, lien social et liberté, l'auteur aboutit à des concepts comme le "social individualisé" ou la "fluidité normative" qui frisent l'oxymoron.

 

L'auteur :

Professeur de sociologie et directeur du Centre de recherches sur les liens sociaux (CNRS-Paris V), François de Singly est notamment l'auteur de Libres ensemble (Nathan, 2003).

 

Mots-clés :

Individualisme, lien social, rôle, communautarisme, normes, autorité

 

 

 

Sommaire :


Introduction

1.    La crise de la transmission
Comment lier des individus émancipés ?

 

 

"Notre héritage n'est précédé d'aucun testament "
La tension entre l'origine et l'originalité
La désappartenance contre les risques du communautarisme
L'engagement personnel


2.    La crise de la stabilité
Comment lier des individus à l'identité fluide ?

 

 

La fluidité identitaire
La disparition des rôles ?
Lever et jeter l'ancre


3.    La crise des normes
Comment lier des individus peu obéissants ?

 

 

La règle
Le principe du "ni-ni "
L'alternance entre le commandement et l'interprétation


4.    La crise de la raison
Comment lier des individus qui veulent préserver leur intérêt et leur affect ?

 

 

Les raisons du cœur
La transformation de l'inconnu en connu
Des politiques venant d'en bas


5.    L'idéal du lien : entre liberté, convivialité et respect mutuel

 

 

Les deux "nous " selon la sociologie classique
A la recherche de "sociétés chaleureuses "
L'invention d'une autre politesse


Conclusion

Bibliographie

Index

 

 

 

- Quatrième de couverture (extrait) -

"Depuis trente ans, "la crise " – des repères, de la transmission, des identités, de la raison ; bref du lien social – est devenue un discours lancinant, dépourvu d'effets sur l'évolution de la société.

Les remèdes anti-crise proposés ne sont pas satisfaisants. Le retour de l'âge d'or de la République est impossible : les individus d'aujourd'hui refusent d'être traités seulement comme des citoyens uniformes. L'"universalisme abstrait " est mort. Mais il ne peut être remplacé par le "communautarisme " qui condamne les individus à rester dans leur groupe, leur communauté d'origine, s'opposant ainsi à leur liberté de s'affilier et de se désaffilier.

Il est temps de dessiner un nouvel idéal du lien social, combinant la liberté de chacun et le respect mutuel, reposant sur une autre forme de civilité. Un "nous " qui sache respecter les "je " dans leur liberté et dans leur identité complexe. Un lien qui sache unir, sans trop serrer. "
 

 

 

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