L'immigration en France

El Mouhoub Mouhoud

L'ouvrage

Dans cet ouvrage, El Mouhoub Mouhoud s’attaque aux mythologies qui entourent la question très sensible de l’immigration, à l’heure où le contrôle des flux migratoires et la tentation de la fermeture des frontières nationales constituent des thèmes majeurs sur l’agenda politique et dans le débat présidentiel. Or la littérature économique disponible et les recherches de l’OCDE permettent souvent de déconstruire ces idées préconçues qui alimentent les peurs et les crispations identitaires, perceptibles aujourd’hui dans toute l’Europe. Pour El Mouhoub Mouhoud, le rôle du chercheur en économie est justement de « permettre à la raison de garder ses droits et de rendre accessible les résultats des travaux sérieux sur le sujet ». S’il établit un diagnostic argumenté, il plaide aussi pour une politique d’immigration en France plus efficace et plus juste, seul moyen d’avoir une approche dépassionnée de cet enjeu majeur pour notre économie et notre cohésion sociale. Mais deux écueils font obstacle à ce débat serein : la diabolisation de l’immigration perçue comme responsable de tous nos maux (elle est souvent d’emblée évoquée comme un problème) ; ou bien l’immigration brandie comme la solution magique aux problèmes du marché du travail et aux effets du vieillissement de la population. Au-delà de ces deux approches caricaturales, il s’agit plutôt de concevoir la politique d’immigration en cohérence avec les besoins du marché du travail, en interaction avec la politique du logement, et d’intégrer les implications de ses orientations pour les pays d’origine. En matière d’immigration, la France et l’Europe sont d’après El Mouhoub Mouhoud devant un véritable défi : celui de mieux investir dans l’accueil et la formation de ceux qui sont régulièrement présents sur le territoire et participent grandement à notre effort productif et à l’équilibre de nos sociétés.

Les mythes sur l’immigration qui brouillent le débat

El Mouhoub Mouhoud décrit tout d’abord méthodiquement les différents mythes qui polluent le débat sur la question des migrations internationales et ses implications pour la France : la France est-elle un grand pays d’accueil ? Avec un peu plus de 0,4% de la population française en 2014, la France présente, en termes de flux entrants, l’un des taux d’immigration les plus faibles de l’OCDE, qui la place bien en dessous de la moyenne (de 0,7%) ; la France est-elle généreuse dans l’accueil des réfugiés humanitaires ? La France occupe le onzième rang européen en matière d’accueil des réfugiés, ce qui représente une part extrêmement faible de sa population, alors qu’il faut rappeler que les réfugiés du conflit syrien sont très majoritairement accueillis par les pays limitrophes ; la France accueille « toute la misère du monde » ? En réalité, plus un pays est pauvre, plus son taux d’émigration est faible en raison du coût financier induit, et ce n’est donc pas la misère du monde qui fuit du Sud vers le Nord (les pays les plus pourvoyeurs de migrants internationaux sont les pays à revenu intermédiaire) ; l’immigration familiale est-elle improductive ? En fait, une grande partie des immigrés au titre du regroupement familial participent à l’effort productif ; les migrants qui arrivent ne sont ni qualifiés ni vraiment utiles à l’économie française ? Encore une fois halte aux idées reçues : les nouvelles cohortes de migrants, depuis les années 1990 à nos jours, sont dominées par des migrants de niveau de qualification plus élevée que celle des autochtones et correspondent à des besoins réels de l’appareil productif (dans les secteurs en pénurie d’emplois) ; l’immigration sélective répond-elle aux besoins du marché du travail ? Pour El Mouhoub Mouhoud, affecter aux politiques d’immigration l’objectif de régler les problèmes de tension sur le marché du travail par la sélection des immigrés est contestable du point de vue économique, car elle ne fait que renforcer la segmentation du marché du travail (déjà très forte) entre « insiders » et « outsiders » ; autre sujet d’inquiétude récurrent : la France n’envoie que peu de travailleurs détachés en Europe et en reçoit beaucoup ? La France est certes le deuxième pays d’accueil de travailleurs détachés mais elle en reçoit toutefois moins que l’Allemagne, mais elle est dans le même temps le troisième pays pourvoyeur de travailleurs détachés ; autre argument souvent mobilisé dans le débat : les immigrés entraînent-ils la baisse des salaires et dégradent-ils le marché du travail ? Les travaux économiques disponibles sur la question concluent en fait à des effets de l’immigration de très faible ampleur sur les pays d’accueil (même plutôt positifs !), sur les salaires des natifs et sur la situation des marchés du travail (immigrés et autochtones ne sont pas forcément en concurrence sur les types d’emploi), comme sur les finances publiques (l’impact de l’immigration peut aussi être positif en termes de consommation et de flux de cotisations prélevées) ; par ailleurs, est-il si évident que les immigrés profitent des budgets sociaux ? Les travaux économiques de l’OCDE montrent au contraire un impact très faible de d’immigration sur les comptes sociaux.

El Mouhoub Mouhoud poursuit ensuite l’analyse en critiquant d’autres clichés que l’on véhicule souvent sur l’immigration : est-elle la solution pour faire face au vieillissement de la population et équilibrer nos régimes de retraites ? Elle peut y contribuer certes, mais elle n’est en aucun cas une solution miracle qui doit nous exempter d’une réflexion sur le partage de l’effort à produire dans le long terme pour pérenniser nos systèmes de retraites. Il examine ensuite le lien entre immigration et intégration : selon lui, plus qu’à des flux migratoires incontrôlés, nos difficultés sont surtout liées à des politiques d’aménagement du territoire, du logement, du marché du travail qui ont entraîné ce qu’il appelle un « triple décrochage territorial, social et ethnique », dans la mesure où l’immigration est très mal répartie géographiquement et concentrée dans des zones du territoire déjà vulnérables sur le plan économique et social. De plus, on sous-estime souvent l’ampleur des phénomènes de discrimination qui freinent l’intégration économique des immigrés, pourtant compétents et qualifiés.

A l’échelle internationale, le libre-échange et le « codéveloppement » peuvent-ils freiner l’incitation à émigrer vers les pays riches ? En réalité la mondialisation commerciale et les migrations internationales sont complémentaires car plus les échanges de biens et de capitaux se mondialisent, plus les migrants peuvent partir et réduire les coûts de leur mobilité (les pays les plus pauvres ont ainsi les taux d’émigration les plus faibles). El Mouhoub Mouhoud montre aussi que les transferts d’argent des migrants servent plutôt le développement, par les effets majeurs qu’ils exercent sur les pays d’origine à travers les transferts matériels et immatériels des migrants, décisifs pour la réduction de la pauvreté des ménages et la scolarisation des enfants. Il rappelle que la « fuite des cerveaux » (brain drain) est un problème considérable qui affecte réellement les pays pauvres, et la politique d’immigration sélective pratiquée par les pays riches tend d’ailleurs à accélérer le départ des travailleurs qualifiés pourtant indispensables à la croissance économique de ces pays en développement. Enfin, on peut s’interroger : les migrations « circulaires » (de retour dans les pays d’origine) sont-elles la solution pour réguler les migrations internationales ? En réalité les effets de ces migrations sont complexes mais les données disponibles montrent qu’ils sont différenciés pour les pays de départ : les plus pauvres y perdent souvent et les pays à revenu intermédiaire ont plutôt tendance à y gagner.

Quelle politique alternative d’immigration ?

El Mouhoub Mouhoud dresse un constat sans concession de notre politique d’immigration et des défaillances de la stratégie européenne en la matière : il explique qu’au fil du temps, le modèle français est passé d’une logique fordiste d’organisation de l’immigration par les principales branches de l’économie (sidérurgie, textile, automobile, BTP…) à une logique d’immigration par vagues de régularisation (années 1980-1990), et de contrats bilatéraux avec les Etats des pays d’origine aux deux extrémités de l’échelle des qualifications. La France a en fait d’un régime hybride, qui combine une immigration sélective qui cherche à attirer les travailleurs qualifiés, et qui alterne par ailleurs ouverture et fermeture en fonction des rythmes de la croissance économique, tout en affichant politiquement un discours de fermeté qui conçoit l’immigration avant tout comme un problème. La gestion de l‘immigration irrégulière est alors un moyen de pourvoir, avec les travailleurs détachés de l’Union européenne, aux besoins des secteurs intensifs en travail (agriculture, construction, services…) C’est la raison pour laquelle, pour El Mouhoub Mouhoud, « la politique française en matière d’immigration souffre toujours quels que soient les gouvernements successifs de ces dix dernières années, d’un manque de lisibilité et de cohérence ». A l’échelle européenne, ce n’est guère mieux selon lui, puisque la gestion de la crise des migrants et les réponses bien peu coordonnées des Etats membres ont démontré l’étendue des désaccords persistants et le déficit de coopération. Or les questions de sécurité et de lutte contre le terrorisme rendent aujourd’hui plus que jamais indispensable la concertation étroite entre les pays européens. Il regrette « qu’alors que le problème de l’afflux des réfugiés continuera à se faire ressentir à moyen et long terme, l’incapacité des pays européens à organiser sereinement leur arrivée est en train de détruire l’acquis le plus positif de la construction européenne : la liberté de circulation et la mobilité interne du travail qui s’est accrue depuis la crise de 2008 ».

Pour sortir par le haut de cette situation, El Mouhoub Mouhoud propose six pistes de réforme de la politique économique des flux d’immigration : 1) Veiller à appliquer strictement le droit des migrants (par la création notamment d’un « permis de résident permanent ») ; 2) Initier une stratégie de mobilité du travail qui favorise la portabilité et la continuité des droits en fonction des besoins de l’appareil productif ; 3) Créer une haute autorité indépendante (composée de magistrats, des partenaires sociaux…) pour veiller en toute sérénité aux critères de régularisation des migrants ; 4) Mettre en place de programmes ambitieux de formation pour les migrants dans les secteurs à besoins importants (comme les services) ; 5) Développer une coopération internationale plus étroite avec, notamment, un partenariat euro-méditerranéen et une conditionnalité de l’aide au développement liée au respect des droits de l’homme et de la démocratie ; 6) Enfin, décider d’une véritable politique d’accueil des réfugiés coordonnée au niveau européen.

 

Quatrième de couverture

Qui sont les migrants internationaux ? Combien arrivent réellement chaque année dans les pays riches ? La France reçoit-elle vraiment « toute la misère du monde » ? Combien coûtent les migrants aux finances publiques des pays d’accueil ? Prennent-ils nos emplois ?

Les propos erronés, répétés sciemment ou non, sur l’immigration et ses effets, persistent et se renforcent dans les périodes de crise, aujourd’hui comme dans les années 1930.

Peut-on espérer comprendre et traiter la question de l’immigration si les allégations les plus invraisemblables ne sont pas démystifiées, si les fantasmes et non la réalité nourrissent le débat public ? Les chiffres existent ainsi que leurs analyses et leurs enseignements, fondés sur des études concordantes réalisées dans différents pays. Pourquoi les ignorer ?

Loin des plaidoyers en faveur ou contre les migrations ou les migrants, c’est à ces questions, quelquefois dérangeantes, toujours précises, que ce livre tente de répondre.

E.M. Mouhoud identifie quinze mythes qui parasitent le débat public sur les migrations et permettent à certains responsables politiques de défendre des thèses aussi anxiogènes qu’inexactes. Ce livre fournit des propositions concrètes et de pistes de réflexions pour une véritable politique efficace et juste.

 

L’auteur

Professeur d'économie à l'université Paris-Dauphine, El Mouhoub Mouhoud est spécialiste de la mondialisation, des délocalisations et des migrations internationales.

 

Divers liens :

Le niveau d’instruction des immigrés : varié et souvent plus élevé que dans les pays d’origine

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