Les dix commandements de la finance

Jean-Paul BETBEZE

L'ouvrage :


Le système économique et financier globalisé auquel nulle nation ou entreprise ne saurait aujourd'hui se soustraire serait gouverné par la poursuite d'un seul but : un taux de rentabilité du capital de 15%. Mais la voie est étroite. Peu d'élus atteignent cet éden capitaliste et moins nombreux encore sont ceux qui parviennent à s'y maintenir durablement. Si le RoE ( return on equity ) de 15% est l'exception plutôt que la règle, il n'en détermine pas moins, à des degrés divers, les décisions, les comportements et les destins de l'ensemble des agents économiques : du RMIste au patron de multinationale. Il ne s'agit pas pour Jean-Paul Betbèze de constater un déterminisme financier total mais de considérer ce principe moteur du RoE de 15% pour mieux comprendre la complexité d'un système économique qui, au-delà des contraintes et des interdépendances, pose à un moment donné une multiplicité de réels possibles pour l'instant d'après n'en réaliser qu'un seul.               

Le RoE ou taux de rentabilité du capital correspond au rapport entre le résultat net d'impôts d'une entreprise et les fonds propres qu'il a fallu mettre en œuvre pour l'obtenir. Depuis une quinzaine d'années, sous l'influence américaine, les entreprises sont censées se plier à la norme d'un RoE de 15%. Jean-Paul Betbèze souligne d'emblée à propos de ce ratio trois points. Premièrement, il s'agit d'une norme imposée de l'extérieur aux dirigeants et actionnaires, par le marché. Deuxièmement, il s'agit d'un objectif fixe, d'un horizon absolu et non d'une perspective relative. On attendrait de l'entreprise qu'elle atteigne ces 15% avant que de savoir si elle fait mieux que ses concurrents ou le mieux possible compte tenu de la conjoncture. Troisièmement, ce taux de rentabilité du capital de 15% est une perspective idéale dont l'observation historique comme la théorie économique nous disent qu'il relève de l'exception.

Les règles du jeu

L'accession du RoE de 15% au rang de convention économique majeure traduit une rotation des pouvoirs entre différentes catégories d'agents particulièrement influents.

Les années 70 auraient vu émerger le pouvoir des consultants. Dans le sillage du Boston Consulting Group et de sa fameuse matrice, les consultants ont pesé sur la stratégie des entreprises en insistant avant toute chose sur l'importance des produits. Dans les années 80, Michaël E. Porter a encouragé une approche plus dynamique prenant davantage en compte les changements affectant l'environnement de l'entreprise. Par ailleurs, sous l'influence notamment du cabinet McKinsey, on est passé des produits aux métiers afin d'appréhender l'entreprise plus globalement que ne le permet l'approche du BCG .

L'affaiblissement relatif du pouvoir des consultants a été suivi d'un renforcement de celui des analystes financiers. La priorité pour ces derniers n'est plus d'apprécier l'équilibre d'un portefeuille produits ou la justesse d'une stratégie multi-métiers, mais de rechercher les best performers . Ce qui est possible grâce notamment au RoE qui fait office de critère universellement applicable.

Après les consultants et les analystes, deux nouvelles communautés ont affirmé leur pouvoir : les banquiers d'affaires et surtout les gestionnaires de fonds. Les banquiers d'affaires, par les rapprochements d'entreprises qu'ils suggèrent et le cas échéant conduisent, sont censés rendre possibles d'une part certaines des stratégies proposées par les consultants et d'autre part les améliorations de rentabilité attendues par les analystes. Les gestionnaires de fonds qui recueillent et gèrent l'épargne des futurs retraités ont quant à eux disposé ces dernières années de ressources croissantes, aux Etats-Unis d'abord puis dans la plupart des pays européens, en particulier la Grande-Bretagne. Or, l'allocation raisonnée de ces ressources considérables ne peut se faire in fine que selon des critères communs aux différentes entreprises. C'est-à-dire des critères financiers, abstraction faite du secteur particulier dans lequel chacune évolue. De surcroît, du fait même des masses financières en jeu et de leur aversion au risque, les gestionnaires de fonds sont amenés à observer des critères de décision uniformisés. D'où vient notamment la consécration d'un ratio comme le RoE de 15%.

   
Le jeu avec les règles

Si le "capitalisme fondiste" paraît donc avoir une fin unique, les moyens pour l'atteindre sont eux multiples pour ne pas dire infinis. Lorsque Jean-Paul Betbèze examine en regard du RoE non seulement les questions strictement financières mais aussi la communication, le marketing, la production ou en encore le CRM ( customer relationship management ), il en dévoile les logiques propres en même temps que les interrelations qui les unissent en système. Or, qui dit système dit complexité. Complexité et diversité des moyens, en soi, garantissent aux agents économiques une marge de liberté, l'occasion d'exercer des choix, de jouer avec les règles. De fait, la multiplicité des possibles, la variété des alternatives, le " brassage des destins " confèrent aux commandements de la finance un caractère sinon facultatif du moins relatif.

L'alternance et le chevauchement des conventions qui régissent le comportement des acteurs d'un marché illustrent bien par quels détours logiques l'empire de la finance ne s'exerce pas de façon absolue. Pour Jean-Paul Betbèze, les conventions peuvent être assimilées à " des polarisations d'énergie en forme de capitaux, d'idées, d'investissements qui marquent profondément le futur ". Or, si l'on admet que la convention d'un RoE à 15% a été déterminante ces quinze dernières années, on doit aussi admettre que les moyens empruntés pour l'atteindre font eux-mêmes l'objet de conventions successives. Surtout lorsqu'elles sont éphémères, on pourra qualifier ces conventions de "modes" voire de toquades ( fads en anglais). Les juger ainsi ne signifie pas qu'elles sont déconnectées du réel. Elles reposent en fait sur le réel passé, présent et anticipé ou plus exactement sur une sélection de ce réel. En cela, c'est non seulement la complexité mais encore l'imperfection du système économique et plus encore de ses agents qui préservent d'un déterminisme total. Car " toute économie procède par essais et erreurs (…) quand l'économie avance ou régresse, elle fait jouer divers degrés de liberté " rappelle l'auteur. 

Le fait même que le RoE de 15% ne soit jamais, généralement et durablement, atteint par les entreprises prémunit également d'un empire absolu de la finance. L'impossibilité d'atteindre effectivement les 15% de RoE préservant le champ des possibles. On peut en quelque sorte considérer cette convention comme le "lièvre" du système économique mondial, toujours poursuivi jamais rejoint. S'il devait finalement être rattrapé, il perdrait sa justification même et devrait se voir substituer un nouveau principe organisateur et moteur.

Parti de la finance acceptée comme une fin, l'auteur en vient finalement à la "réhabiliter" au titre de moyen : "l a finance permet de contrôler l'usage de l'argent dans la réalisation de choses, pour satisfaire des besoins ". Il est selon Jean-Paul Betbèze illusoire de prétendre échapper au système économique ou le mettre à bas, mieux vaut s'efforcer d'en comprendre les mécanismes, d'être conscient des conventions qui le déterminent, pour le faire évoluer et en assurer la meilleure gouvernance (privée comme publique). Dans cette perspective, l'auteur entend par le présent ouvrage "éclairer la scène".


 

L'auteur :


Directeur des études économiques du Crédit lyonnais, Jean-Paul Betbèze est également professeur à l'université de Paris-Panthéon-Assas. Il est fréquemment amené à publier des articles dans les colonnes de différentes publications, parmi lesquelles Le Monde .

 

Mots-clés :

finance, économie des conventions, taux de rentabilité, marché boursier, bulle spéculative, nouvelle économie 

 

Sommaire (extraits) :


COMMANDEMENT I : 15% DE RoE , TU CHERCHERAS

A NOUVELLE NORME, NOUVEAUX POUVOIRS

Le pouvoir des consultants
Le pouvoir des analystes
Le pouvoir des banquiers d'affaires
Le pouvoir des gestionnaires de fonds

A NOUVELLE NORME, OPPOSITION AUX ANCIENS POUVOIRS


COMMANDEMENT II : 15 % DE RoE , TU OBTIENDRAS

A NOUVELLE NORME, NOUVELLE ANALYSE

Aller des contributions vers les rentabilités
Puis aller des rentabilités aux fonds propres

PASSER A L'ACTE, COMMERCIAL

La phase obligée du cost cutting
Chercher le client solvable… et rentable

PASSER A L'ACTE, INDUSTRIEL

Chercher des économies d'industrie
Combiner commerce et industrie


PASSER A L'ACTE, FINANCIER

Installer la logique financière
Régler le passif

 

COMMANDEMENT III : 15% DE RoE , TU MAINTIENDRAS

LA LOGIQUE ADDITIVE DE MAINTIEN DU ROE

Annoncer le plan de marche
Maîtriser le couple économies/déséconomies

LA LOGIQUE PREVENTIVE DE PROTECTION DU ROE

Accroître la prévisibilité des résultats
Consolider l'actionnariat

LA LOGIQUE INTENSIVE DE HAUSSE DU ROE

Poursuivre les contrôles
Continuer et étendre les sélections
Réallouer les actifs
Optimiser les passifs


COMMANDEMENT IV : 15 % DE RoE , TU EXPLIQUERAS

LE ROLE DES MARKET MOVERS

Mettre en avant les fondamentaux
Intégrer les relais d'opinion

LA PSYCHOLOGIE DES MARCHES

Ce qu'ils détestent
Ce qu'ils aiment
Ce qu'ils pensent
Ce qu'ils ignorent


COMMANDEMENT V : LA MACROECONOMIE, TU INTEGRERAS

L'ANALYSE DE LA CONJONCTURE PAR LES DIRIGEANTS

Un exercice obligatoire et permanent

LES ANALYSES EN TROIS PAYS

Le rôle central de l'économie américaine
Les deux économies du pourtour
Les économies émergentes

LA CONJONCTURE DANS LES CHOIX DES DIRIGEANTS


COMMANDEMENT VI : LE ROE A 15%, TU EXPLOITERAS

STIMULER LE ROE

Les actions et messages qui n'aident pas
Les actions et messages qui aident un peu
Les actions qui aident
Les actions qui aident vraiment

PASSER DU ROE AU P/B (PRICE TO BOOK)

La nouvelle loi de valorisation des titres
Par le RoE, étendre la firme


COMMANDEMENT VII : LA PREDATION, TU REUSSIRAS

GAGNER PAR L'EXTERIEUR

Bien préparer le rapprochement
Bien présenter le rapprochement

QUAND LA "NOUVELLE ECONOMIE" CASSE LES LOGIQUES DE VALORISATION

Les six lois de la "Nouvelle Economie"
L'esprit des (nouvelles) lois

LA " NOUVELLE ECONOMIE ", BULLE ENTRAINANTE

De la "Nouvelle Economie " à la "Nouvelle Finance"
Les batailles des deux économies


COMMANDEMENT VIII : DU JEU, TON MIEL TU FERAS

L'IMPOSSIBLE 15%

Ce que nous disent les chiffres
Ce que nous disent les faits
Les quatre impossibilités du 15%

LA PERCEE DE LA BULLE

Les deux effets d'un krach boursier
Les politiques monétaires et budgétaires doivent-elles intervenir ?
 


COMMANDEMENT IX : LE REBOND, TU PREPARERAS

LES CONDITIONS DU REBOND

La formation d'un point bas des actions

LES RISQUES DESINFLATIONNISTES

La menace déflationniste
Le risque exubérantiste
Le risque stagflationniste

 


COMMANDEMENT X : QUE TOUT EXPLOSE, TU EMPECHERAS

LE CAPITALISME FINANCIER, UN SYSTEME POTENTIELLEMENT EXPLOSIF

Comment choisir, dire et faire : les trois sources de tensions
Gérer les tensions : l'entreprise dans le cycle

D'UNE EUTHANASIE, L'AUTRE ?

La "dictature des marchés" ne supprime pas les degrés de liberté
L'inflation et l'euthanasie des rentiers
La crise boursière et l'intégration des salariés

TRANSPARENCE ET GOUVERNANCE : VERS UN NOUVEAU CAPITALISME ?

La carte des nouveaux risques
Gérer les nouveaux risques

CONCLUSION : Y a-t-il un XIe Commandement ?


 

- Quatrième de couverture (extrait) -
 

"Comment la finance a-t-elle révolutionné le capitalisme ancien? Pourquoi la quête de forts taux de rentabilité est-elle devenue la loi absolue? En quoi a-t-elle transformé l'industrie, le commerce? Quels rôles jouent désormais les consultants, les analystes, les gestionnaires de fonds? Au nom de quelles logiques de prévision, de management, de contrôle? Avec quel impact sur la psychologie des marchés, les banques centrales, les grands équilibres nationaux et internationaux ? Quelle leçon, surtout, faut-il retirer de la bulle de la "nouvelle économie", de son apparition et de son explosion?"
 

 

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