Le triomphe de la cupidité

Joseph Stiglitz

L'ouvrage

La crise ou l’occasion d’une refondation de la finance

La naissance du monde de l’après-crise, que l’on peut faire remonter au 15 septembre 2008 – date de la faillite du groupe Lehman Brothers – semble avoir sonné le glas d’une foi, que certains n’hésitent pas à qualifier de fanatique, dans les vertus autorégulatrices du marché. Pour J. Stiglitz, cela constitue une bonne nouvelle et traduit un changement dans l’orientation de l’analyse économique. En effet, la grande question économique du XXIe siècle sera, estime-t-il, de savoir jusqu’où l’Etat peut intervenir efficacement et ne consistera plus à déterminer les conditions nécessaires à la mise en œuvre d’une libéralisation maximale. Bonne nouvelle, là encore, pour Stiglitz, qui juge sévèrement les positions idéologiques de ses collègues au cours des dernières années, l’économie étant, selon lui, passée « du statut de discipline scientifique à celui de supporter le plus enthousiaste du capitalisme de libre marché ». Malgré l’aura et l’influence intellectuelle d’Alan Greenspan, président de la Réserve Fédérale américaine (Fed) de 1987 à 2006 et partisan convaincu de la déréglementation, la réalité économique tendrait à montrer que certaines des évolutions « dérégulatrices » des dernières années ou décennies constitueraient des impasses, voire de dramatiques erreurs. Les conséquences de la titrisation sans limite des prêts bancaires en constitueraient un exemple éclatant. Pour Stiglitz, l’intervention de l’Etat est nécessaire pour qu’une économie soit à la fois efficace et plus juste. La récession actuelle ayant dissipé les illusions concernant des innovations financières réputées « révolutionnaires », il est temps, estime-t-il, d’envisager d’autres réformes. Ainsi, en matière de finance, l’économiste américain préconise de démanteler les grandes banques en rétablissant une sorte de Glass Steagall Act – loi restée en vigueur jusqu’en 1999 et qui avait séparé banques commerciales et banques d’investissement dans les années 1930. Il souhaite également  augmenter les contraintes en capital sur leurs activités risquées et encadrer strictement ces activités par une réglementation nouvelle. Il propose par ailleurs de lutter contre l’opacité des marchés des produits dérivés et préconise, plus globalement, un renforcement et une adaptation rapide des contraintes réglementaires. Certaines banques, devenues gigantesques, sont apparues comme « too big to fail » et ont donc pris des risques excessifs, persuadées qu’elles ne s’exposaient pas en payer les conséquences (phénomène d’aléa moral). Il conviendrait donc de revenir à la banque « traditionnelle », celle dont le profit est justifié parce qu’il résulte de l’écart entre le taux que la banque reçoit des emprunteurs et celui qu’elle doit payer aux déposants. Ainsi, les prêts « menteurs » (ainsi nommés parce qu’ils peuvent être obtenus sans nécessité d’apporter la preuve du niveau de ses revenus) sont-ils, par exemple, des produits toxiques par essence.

Une occasion manquée ?

Malheureusement, souligne Stiglitz, la volonté politique fait défaut aux Etats-Unis pour mettre en œuvre une refondation de la finance de cette ampleur. L’économiste ne cache pas sa déception devant la politique du président Obama, qui lui apparaît finalement comme un conservateur n’ayant pas d’autre vision du capitalisme à proposer. Ainsi, sa politique vis-à-vis des banques a-t-elle, en fin de compte, été la même que celle de son prédécesseur Georges W. Bush : injecter massivement des fonds publics pour les sauver sans leur imposer de contraintes en contrepartie. Il aurait mieux valu, estime Siglitz, nationaliser temporairement les banques en les obligeant à prendre en charge leurs pertes, remercier certains dirigeants et restructurer les entreprises pour les revendre. Il aurait également été souhaitable d’aider les Américains victimes des subprimes en effaçant une partie de leurs dettes et en développant des procédures de faillites individuelles. B.Obama aurait par ailleurs également failli dans sa gestion de la crise économique et sociale : son plan de relance aurait donné trop de place aux réductions d’impôts (un tiers au total), plus épargnées que dépensées, ou à des mesures qui, comme la prime à la casse, n’apportent qu’un soutien de court terme – politique qui, juge Stiglitz, a un sens dans une situation de faible ralentissement de l’activité mais n’est pas pertinente pour faire face à une réelle récession. A l’inverse, les fonds publics n’auraient pas suffisamment aidé les Etats (fédérés), pris dans des contraintes budgétaires qui les forcent à couper les aides sociales et les empêchent de soutenir les citoyens américains ayant perdu leur emploi, leurs revenus ou/et leur patrimoine à cause de la crise. La crise, en somme, aurait apporté la preuve que les marchés financiers n’ont pas rempli leurs fonctions sociales essentielles : gérer les risques, bien orienter les capitaux et mobiliser l’épargne, en maintenant les coûts de transaction à un bas niveau. Le libéralisme a, selon Stiglitz, poussé nos sociétés vers l’individualisme et le court-termisme. Il s’agirait maintenant de retrouver des projets collectifs de long terme. A la faveur de la crise, une opportunité nous est offerte de réorienter nos sociétés. Le danger serait, conclut l’économiste, de ne pas la saisir.

L'auteur

Joseph E. Stiglitz est l’un des économistes les plus influents et les plus écoutés au monde. Il est l’un des rares à nous mettre en garde, depuis plusieurs années, contre le fanatisme du marché et la financiarisation de l’économie. Il a obtenu le prix Nobel d’économie pour ses travaux sur les asymétries d’information.

Table des matières

Chapitre 1 : Fabrication d’une crise
Chapitre 2 : La chute et l’après-chute
Chapitre 3 : Réaction malheureuse
Chapitre 4 : Le scandale des prêts hypothécaires
Chapitre 5 : Le grand hold-up américain
Chapitre 6 : La cupidité triomphe de la prudence
Chapitre 7 : Un nouvel ordre capitaliste
Chapitre 8 : De la reprise mondiale à la prospérité du monde
Chapitre 9 : Réformer la science économique
Chapitre 10 : Pour une nouvelle société

 

 

Quatrième de couverture

 

 

Ce livre parle d’un combat d’idées. Il porte sur celles qui sont à l’origine des politiques désastreuses qui ont provoqué la crise et sur les leçons que nous en tirons. Nous sommes aujourd’hui à la croisée des chemins. Soit nous continuons à faire triompher la cupidité, à mettre au cœur de nos sociétés économiques le libre marché, l’obsession du court terme, les déréglementations, la libre circulation des capitaux, responsables des pires dérives du système financier ; soit nous acceptons de faire un pas de côté et de considérer les causes fondamentales de notre échec.
Selon l’auteur, en effet, ce que la chute du mur de Berlin a été au communisme, septembre 2008 l’a sans doute été symboliquement au fondamentalisme du marché et au mythe pervers de l’autorégulation. Malheureusement, la plupart des élites économiques et politiques n’en prennent pas conscience : aveuglées par leurs croyances, elles évoquent une crise exclusivement financière qui aura certes des répercussions économiques, alors qu’il s’agit de la faillite d’un système conjuguée à une grave crise morale.
Il est donc urgent aujourd’hui de repenser le monde, de réformer une science économique qui s’est fourvoyée, entraînant dans son sillage l’accroissement des inégalités, la montée de la pauvreté ou l’aggravation de la crise environnementale. J Stiglitz apporte des solutions. Il démontre magistralement que les mesures actuelles prises aux Etats-Unis ou en Europe ne sont pas à la hauteur de l’enjeu et contribueront, pour nombre d’entre elles, à relancer un système qui a échoué et qui ira de crise en crise. Les banques vont poursuivre leurs activités comme avant, la déréglementation dans certains domaines continue à bon train… Ce livre résonne comme un appel, il nous invite, si nous voulons nous garder de terribles déconvenues, à remettre à plat les fondements même de l’économie mondiale.
 

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