De la démocratie en France : République, nation, laïcité

Dominique Schnapper
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L'ouvrage

La première partie du livre examine la question du « lien démocratique » : comment penser l’universel dans une société qui a sa culture, ses traditions, ancrées dans une histoire singulière ? Le principe de citoyenneté désigne en France l’ensemble des normes juridiques et des pratiques sociales qui fondent le statut de citoyen : juridiquement, un citoyen est donc une personne de nationalité française qui jouit de droits civils et politiques et qui doit aussi s’acquitter d’un certain nombre d’obligations envers la société. Le citoyen détient une qualité particulière qui lui permet de prendre part à la vie publique grâce notamment au droit de vote : « le pouvoir démocratique est fondé sur l’utopie d’une volonté collective d’hommes, purement et seulement humains, réunis par le débat rationnel pour régler les affaires de leur vie commune ». Dominique Schnapper rappelle ainsi que la citoyenneté est historiquement liée à la démocratie, et sa légitimité politique repose sur l’existence de sujets libres et égaux. Dans ce type de société, la cohésion sociale n’est plus fondée sur le lien personnel au monarque ni sur l’appartenance religieuse. La citoyenneté reste ouverte dans son principe, à tous par-delà les différences ethniques, sociales ou biologiques, avec une organisation fondée sur un principe d’inclusion au nom de valeurs universelles ; c’est à ce titre que la citoyenneté reconnaît aussi des droits civils, économiques et sociaux aux non citoyens, régulièrement installés sur le territoire national, au nom d’une conception universelle des droits de l’Homme.

Citoyenneté et universalité

La citoyenneté moderne se caractérise donc surtout par cette ouverture potentielle, comparée à d’autres régimes politiques existants ou ayant existé, et fondés sur des principes religieux, dynastiques ou ethniques : « la nation est ouverte à tous ceux qui sont susceptibles de participer à la vie politique », à condition que « l’idée civique et le principe de citoyenneté priment sur les particularismes ethniques ou religieux, les solidarités domestiques ou claniques ». De cette conception découle l’idée d’une nation comme « communauté de citoyens » comme le rappelle Dominique Schnapper : l’Etat ignore toutes les frontières infra-politiques (frontières religieuses, ethniques notamment), tous les cadres communautaires et ne reconnaît que des citoyens. L’égalité résulte d’une abstraction des membres de la nation, et le citoyen possède donc en vertu de son statut particulier un socle étendu de droits : des droits civils et des libertés essentielles (droit de propriété, droit à la sûreté, liberté de pensée, d’opinion et d’expression, liberté de religion, liberté de circulation, liberté de réunion, d’association ou de manifestation) ; des droits politiques : droit de voter, d’être élu, droit de concourir à la formation de la loi par la voix des représentants qu’il élit (article 6 de la Déclaration de l’homme et du citoyen du 26 août 1789) ; mais le citoyen jouit aussi de droits sociaux : le droit au travail, de grève, droit à l’éducation, à la sécurité sociale. En contrepartie, le citoyen dans la nation démocratique doit aussi remplir des obligations : respecter les lois, participer à la dépense publique en payant ses impôts, s’informer, participer à la défense du pays.

Dominique Schnapper revient aussi dans cet ouvrage sur un point qu’elle juge fondamental : au nom de l’égale dignité de tous les citoyens, l’extension de la protection sociale doit compléter la citoyenneté politique. Ce qu’elle nomme les « droits-créances » (qui permettent une couverture contre les grands risques sociaux) sont une condition d’exercice des « droits-libertés » dans une société démocratique et productive où le progrès économique a permis une élévation du niveau de vie moyen, et où l’intégration passe par la participation à la vie économique. C’est ce qu’elle appelle une « démocratie providentielle » : cette conception exigeante de la citoyenneté suppose l’élargissement des « droits- libertés » aux « droits- créances », afin de rapprocher la réalité matérielle concrète de la conception égalitariste abstraite et proclamée de l’individu- citoyen. Il ne faut donc pas oublier que dans nos démocraties modernes, les conditions matérielles d’existence déterminent la capacité à exercer réellement son statut de citoyen. Elle estime néanmoins que la construction de l’Europe ne sera pas le simple produit des échanges économiques et de l’extension de la protection sociale, et il faudra bien promouvoir (ou renforcer) des institutions et un principe d’inclusion politique : « la communauté historique et politique ne se déduit pas de la participation de fait à la société civile (…) Le politique ne se réduit pas à l’économique ».

La démocratie et le pluralisme

Dans la seconde partie du livre, Dominique Schnapper évoque le thème de la gestion des diversités dans les sociétés démocratiques, avec comme fil conducteur la problématique suivante : plus ouvertes que les autres formes d’organisations politiques et plus tolérantes, les démocraties peuvent-elles assurer, et même institutionnaliser, toutes les formes de diversité ?

En réalité, comme le rappelle Dominique Schnapper, presque toutes les sociétés sont multiculturelles, en tant qu’elles sont composées de populations qui se distinguent par leurs appartenances, religieuse, ethnique, nationale ou régionale. Mais si les sociétés sont donc toutes diversifiées de l’intérieur, elle souligne aussi que la spécificité du projet socio-politique du multiculturalisme revient à prendre acte de ces différences culturelles et de les reconnaître ouvertement, de leur donner droit de cité dans l’espace public. C’est cette idée de l’égalité morale, juridique et politique inscrite au cœur du modèle républicain que remet en cause le multiculturalisme, car, « alors que toutes les sociétés partagent un ordre symbolique commun », il procède à des traitements différentiels et viserait à accorder une reconnaissance institutionnelle concrète aux communautés qui composent la population nationale. Dans la filiation théorique d’auteurs du monde anglo-saxon comme Charles Taylor, le multiculturalisme considère la société comme une mosaïque et soutient les appartenances diverses parce qu’il valorise les particularismes identitaires, et ce projet socio-politique tourne alors le dos aux principes révolutionnaires de 1789. Cette politique de reconnaissance viserait à permettre à tous les citoyens d’éprouver un sentiment d’appartenance ; contre l’inégalité politique et socio- économique, elle serait en mesure d’assurer une représentation égalitaire des différentes minorités, pour les aider à surmonter la discrimination sans pour autant qu’ils se défassent de leur culture d’origine.

Ainsi, l’Etat peut mettre en place des dispositifs de « discrimination positive » (non plus seulement socio-économique mais aussi ethnique et culturel) : ceux-ci consistent en la pratique d’une inégalité à l’endroit d’un groupe catégoriel, justifiée en ce qu’elle permet de corriger une autre inégalité dont souffre ce groupe (discriminations ethnoculturelles, hérédité sociale défavorable comme obstacles à l’ascension sociale en fonction du milieu social et culturel d’origine). Selon Dominique Schnapper, cette conception de l’individualisme multiculturel, ethnoculturel, qu’elle critique, s’appuie implicitement sur l’épuisement de la nation comme marqueur identitaire (« dans les sociétés individualistes, animées par la passion de l’égalité, les revendications de reconnaissance identitaire risquent d’évacuer le souci de transmettre les institutions qui constituent l’ordre social »). Or elle insiste dans cet ouvrage sur les différentes limites de l’émancipation par le multiculturalisme, dont la concurrence des victimes, mobilisées contre l’ordre social. Elle cite l’expérience de quelques pays qui sont d’ailleurs revenus au fil du temps sur ces politiques de reconnaissance multiculturelles, dont l’Allemagne. Dominique Schnapper rappelle que le projet multiculturel peut avoir l’inconvénient redoutable d’assigner un individu à un groupe et d’aliéner ainsi sa liberté et sa capacité à définir le rapport qu’il entend entretenir avec le groupe (l’individu devient prisonnier de son histoire et doit faire allégeance à son origine). Elle estime ainsi que l’identité particulière limite le lien social et la capacité des individus- citoyens dans la nation démocratique à s’abstraire de leurs singularités. Au final, on aboutit alors à un émiettement social au sein de l’espace public, et à une société fragmentée entre communautés juxtaposées. C’est la raison pour laquelle Dominique Schnapper met en garde contre les risques de la mise en œuvre de statistiques ethniques dans le débat public, qui pourraient renforcer les représentations sociales autour de la question sociale, avec des catégorisations arbitraires des populations qui pourraient s’avérer discutables. Elle considère également que certaines pratiques sociales, comme le port du voile intégral, constituent une épreuve pour l’ordre démocratique, au sens où elles naturalisent l’inégalité entre l’homme et la femme.
 

Néanmoins, alors même que les valeurs démocratiques devraient interdire tous les comportements qui traitent inégalement des personnes égales, Dominique Schnapper rappelle aussi que l’on a observé et que l’on continue d’observer des pratiques qui sont autant de manquement aux valeurs dont se réclament les sociétés démocratiques. A ce titre, elle souligne que « la perpétuation du racisme et des phénomènes de racisation malgré l’affirmation de la citoyenneté ne fait qu’illustrer, une fois encore, la fragilité essentielle de la démocratie moderne ». Elle rappelle que la lutte inlassable contre les discriminations, en tant que violation du pacte républicain, s’inscrit dans le combat démocratique lui-même, qui consiste à faire que les sociétés soient le moins infidèle possible aux principes qu’elles invoquent (en particulier l’égalité des chances) pour légitimer leur modèle politique. Tout en sachant qu’il existera inévitablement toujours un décalage, inscrit dans l’utopie démocratique, entre la proclamation des principes de l’égalité de tous les citoyens et les réalités de l’ordre et des pratiques sociales. Au-delà, Dominique Schnapper évoque la problématique à laquelle toute les sociétés démocratiques sont confrontées : celle du niveau tolérable (ou non) des inégalités et du caractère choquant de la ségrégation sociale (« à partir de quel moment cette répartition inévitable (des richesses) devient-elle anormale ou scandaleuse –c’est-à-dire perçue comme violant les normes collectives- ce qu’implique la notion de ségrégation ? ») Si elle indique qu’il n’y a pas de réponse simple à cette question, elle rappelle que toute société démocratique doit, pour assurer son avenir, produire un principe civique fondé en raison, qui transcende les particularismes et les écarts de richesse, pour mieux relever le défi de créer du commun.

Présentation de l'éditeur

« Démocratie providentielle », « démocratie extrême », les notions forgées par Dominique Schnapper, une des grandes voix de la pensée politique française, sont passées dans le langage courant. Elle revient dans ce livre sur les thèmes qui sont aujourd’hui au cœur du débat public : le malaise des populations immigrées, le chômage, la place de l’islam, le rapport à la République et à la nation. Comment penser la démocratie en France ? Comment fonder des liens entre les individus et les groupes, afin qu’un avenir commun puisse être envisagé ? Loin des idéologues de l’identité comme des défenseurs du multiculturalisme, Dominique Schnapper analyse patiemment ce qui permet la relation à l’autre et donne du sens à la citoyenneté. Racisme, laïcité, remise en cause des institutions, intégration, judaïsme, individualisme et communauté, droits des minorités, aucune question n’est éludée et toutes sont abordées avec la même rigueur scientifique et morale.

Biographie de l'auteur

  • Dominique Schnapper, fille de Raymond Aron, est directrice d'étude à l'EHESS, membre honoraire du Conseil constitutionnel, auteur de nombreux ouvrages sur la citoyenneté et la démocratie, dont notamment Diasporas et nations (avec Chantal Bordes-Benayoun) et Travailler et aimer.

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