La hausse du prix des produits alimentaires

Les années 2007 et 2008 ont connu une flambée impressionnante des prix des produits alimentaires. La hausse a démarré en 2006 (+ 8 % pour l'indice FAO des prix alimentaires) avant de s'accélérer en 2007 (+ 24 %) puis 2008. Elle touche principalement les huiles végétales (+ 97% entre 2007) suivies par les céréales (87 %), les produits laitiers (58 %) et le riz (46 %). Les prix du sucre et de la viande ont également augmenté mais dans une moindre mesure. Ce qui rend exceptionnelle la situation actuelle des marchés est que la hausse des prix touche la quasi-totalité des principaux produits alimentaires et fourragers et que les prix risquent de rester élevés même après que les effets de choc à court terme se soient dissipés.
On comprend facilement que, si cette hausse touche l'ensemble de la population mondiale, elle est beaucoup plus difficile à supporter pour ceux qui consacrent déjà 70 ou 80 % de leur revenu à l'alimentation. Ceci n'a pas manqué d'entraîner des troubles sociaux voire des émeutes particulièrement au sein des populations urbaines, plus vulnérables à la hausse des prix alimentaires et du carburant. Quant à ceux qui souffrent de sous-alimentation chronique, si rien n'est fait, ils risque d'être victimes d'une nouvelle vague de famines qu'on avait cru pouvoir classer dans la catégorie des faits historiques passés. Très logiquement, on étudiera les causes de ce phénomène en analysant les facteurs explicatifs du côté de l'offre puis de la demande.

Les facteurs expliquant la flambée des prix des produits alimentaires du côté de l'offre

Du côté de l'offre, trois facteurs principaux ont contribué à la hausse des prix alimentaires : tout d'abord des déficits de production et des pertes de récoltes céréalières de certains grands pays producteurs causés par les mauvaises conditions climatiques ; ensuite, la baisse du niveau des stocks mondiaux, en particulier s'agissant de celui du blé et des céréales ; enfin, l'augmentation du coût des carburants.

 

Les déficits de production céréalière dans certains grands pays producteurs

 

Les accidents climatiques survenus en 2005 et 2006 dans certains grands pays producteurs, comme la sécheresse en Australie durant ces deux années consécutives, ont entraîné des pertes de récoltes et des déficits de production céréalière. Ce déclin de la production céréalière, qui s'est établi à 4% en 2005 et 7% en 2006, a largement contribué à la hausse des prix. En Australie et au Canada, les rendements ont chuté d'1/5e environ, et dans de nombreux pays ils se sont maintenus ou ont reculé. 
Si une augmentation importante de la production céréalière a pu être observée en 2007, en particulier s'agissant de la production de maïs aux Etats-Unis grâce à un accroissement important des semis conjugué à des conditions météorologiques très favorables, il n'en a pas été de même pour les autres grands groupes de produits agricoles dans les principaux pays exportateurs.

 

La réduction du niveau des stocks mondiaux

 

On observe depuis le milieu des années 1990 une baisse du niveau des stocks mondiaux, en particulier ceux des céréales qui, conjuguée aux baisses de production enregistrées sur la même période, a conduit à la spectaculaire hausse des prix partout dans le monde. Depuis la précédente baisse des prix alimentaires en 1995, le niveau des stocks mondiaux a baissé en moyenne de 3.4 % par an, alors que la croissance devenait supérieure à l'offre disponible. 
La baisse du niveau des stocks mondiaux est due non seulement à la baisse de production mais également à certaines politiques adoptées par les Etats-membres depuis les Accords du Cycle de l'Uruguay de l'Organisation mondiale du commerce qui ont visé ou contribué à la réduction du niveau des stocks. Citons par exemple la réduction de la taille des réserves appartenant aux institutions publiques ; l'élévation des coûts de stockage des denrées périssables ; le développement et la promotion de moyens alternatifs moins onéreux de gestion du risque ; l'augmentation du nombre de pays ayant la capacité d'exporter ; et, enfin, les progrès des technologies de l'information et la meilleure performance des transports. 
Les baisses de production enregistrées sur plusieurs années dans les principaux pays exportateurs conjuguées à la réduction du niveau des stocks mondiaux a conduit à exacerber la tension sur les marchés internationaux et à amplifier, en cas d'événements imprévus, la volatilité des prix et l'ampleur des variations de prix. Si, en début de campagne, la tension sur les marchés mondiaux tend à exercer sur les prix une pression à la hausse, l'absence d'approvisionnements tampons implique, lorsque les stocks atteignent des niveaux très bas, une augmentation possible des prix sous l'effet d'un choc de la demande ou de l'offre. 
D'ici la fin de la campagne 2008, les stocks mondiaux de céréales devraient encore enregistrer une baisse de 5% par rapport à un niveau déjà faible en début de campagne, pour atteindre leur plus bas niveau en 25 ans.

 

L'augmentation du coût des engrais et des carburants

 

Le prix en dollars de certains engrais, comme le superphosphate triple et le muriate de potasse, ont augmenté de plus de 160% au cours des deux premiers mois de 2008 par rapport à la même période en 2007, ce qui a contribué à la hausse des coûts de production de biens agricoles. 
Par ailleurs, la hausse des prix de l'énergie, notamment les prix du pétrole, a été particulièrement rapide et importante avec un indice Reuters-CRB des prix de l'énergie qui a plus que triplé depuis 2003. Les prix du pétrole ont approché les 130 dollars par baril en mai 2008, soit près du double du cours affiché l'année précédente. Cette hausse des prix de l'énergie s'est largement répercutée sur les coûts de fret qui ont doublé en un an à partir de février 2006, et qui ont, à leur tour, affecté le coût du transport des denrées alimentaires vers les pays importateurs d'autant que les ports sont devenus plus encombrés et les routes commerciales plus longues. Ainsi, les taux de fret des céréales et des graines oléagineuses ont augmenté de 80% en un an, ce qui non seulement s'est répercuté sur les prix à la vente des produits agricoles mais a aussi modifié de façon significative la géographie des échanges, avec de nombreux pays qui importent désormais de sources plus proches. 
Outre les répercussions sur les coûts du transport, la hausse des prix du pétrole a également pesé sur le prix des produits agricoles étant donné que le pétrole est un facteur de production important dans l'agriculture, plus particulièrement dans les pays industrialisés où l'agriculture est motorisée et fortement consommatrice d'intrants.

Les facteurs expliquant la flambée des prix des produits alimentaires du côté de la demande

La demande croissante de céréales pour la production de biocarburants, soutenue par les subventions, constitue l'une des causes principales de la hausse des prix alimentaires et l'une des manifestations les plus évidentes du lien de plus en plus étroit qui se noue entre les marchés agricoles et les marchés non agricoles comme celui des combustibles fossiles et des biocarburants. La demande croissante de céréales pour la production de biocarburants a également conduit au détournement de superficies cultivées au profit de cultures destinées à la fabrication de biocarburants au détriment d'autres cultures agricoles destinées à l'alimentation humaine ou animale. Enfin, la croissance démographique et économique dans les pays émergents comme la Chine et l'Inde aurait conduit à l'augmentation de la demande de produits agricoles dans ces pays qui aurait, selon certaines estimations, contribué à la hausse des prix agricoles. Toutefois, ce dernier facteur est largement discuté.

 

La demande croissante de céréales pour la production de biocarburants

 

Certains produits agricoles tels que le sucre, le maïs, le manioc, les oléagineux et l'huile de palme font l'objet d'une demande nouvelle visant à alimenter en tant que matières premières le marché émergent des biocarburants, lesquels tendent à détourner les ressources productives de la production de cultures vivrières et donc à réduire la disponibilité d'aliments pour la consommation humaine. Les biocarburants présentent un intérêt économique d'autant plus intéressant que le prix du pétrole brut a subi des hausses très importantes. 
Etant donné que le secteur des bioénergies ne contribue encore que modestement aux approvisionnements énergétiques mondiaux, les prix de matières de base peuvent être considérés comme largement endogènes aux variations des prix des combustibles fossiles, avec des effets en retour minimes de sorte que les chocs sur les marchés de l'énergie se répercutent au final sur les marchés des produits alimentaires. 
Ce sont surtout les demandes supplémentaires de maïs, utilisé pour la production d'éthanol, et de colza, utilisé pour la production de biodiesel, qui ont eu le plus contribué à la hausse des prix. Ainsi, sur une augmentation de près de 40 millions de tonnes d'utilisation totale du maïs en 2007 au niveau mondial, environ 1/4 a été absorbé par les usines d'éthanol qui sont pour la plupart américaines, les Etats-Unis étant le plus grand producteur et exportateur mondial de maïs. La forte augmentation de la demande de maïs a entraîné l'escalade de son cours international observée dès le début 2007, d'autant que cette nouvelle demande tend à se concrétiser rapidement (2-3 ans) et à se concentrer largement aux Etats-Unis (plus de 90%). 
Selon les prévisions pour 2008, plus de 30% des récoltes de maïs aux Etats-Unis seront détournées vers les usines d'éthanol, soit 12% de la production mondiale de maïs contre 60% qui seront utilisées pour l'alimentation animale. 
S'agissant du colza, 60% de sa production par les pays membres de l'Union européenne en 2007 auraient été absorbés par le secteur du biodiesel, soit environ 25% de la production mondiale et 70% de son commerce mondial.
Le potentiel énorme présenté par le secteur des biocarburants a conduit de nombreux gouvernements à adopter des politiques publiques de subvention, lesquelles ont encouragé à leur tour la demande pour ces matières premières et, partant, l'augmentation de leur prix. Les subventions visant la production d'éthanol et de bioéthanol dans des pays sélectionnés de l'OCDE se sont élevées à 11-12 milliards de dollars US en 2006. Au total en 2006, les agriculteurs et les transformateurs américains ont bénéficié d'aides s'élevant à 6,7 milliards de dollars US contre 4,7 milliards de dollars US pour les agriculteurs et les transformateurs de l'Union européenne.

 

Le détournement des superficies cultivées

 

Conséquence de l'intérêt croissant que représente le secteur des biocarburants, des superficies sont détournées au profit de la culture du maïs pour la fabrication de biocarburants au détriment d'autres cultures qui seraient destinées à la consommation humaine et animale. Ainsi en 2007, les superficies plantées en maïs ont augmenté de près de 18% aux Etats-Unis. Cette augmentation des surfaces plantées en maïs a eu pour corollaire la réduction des superficies de soja et, dans une moindre mesure, de celles de blé, ce qui a entraîné la baisse de leur production et, partant, l'augmentation de leur prix. 
Ce scénario pourrait se répéter en 2008 mais cette fois-ci au profit du soja et du blé dont les prix relatifs plus élevés que ceux du maïs ont incité les agriculteurs américains à réduire leurs superficies plantées en maïs pour augmenter parallèlement les superficies plantées en soja et en blé. Cette situation pourrait poser problème étant donné que la demande de maïs pour la production d'éthanol devrait continuer à augmenter et que, si la production de maïs baisse en 2008, les Etats-Unis pourront difficilement satisfaire sa demande qui existe à la fois pour l'alimentation humaine et animale, pour la production de biocarburants et pour les exportations, sans avoir recours à leurs propres réserves. Un tel scénario pourrait de nouveau, en période de fortes tensions sur les marchés, entraîner une hausse des prix du maïs en 2009.

 

L'augmentation de la demande de produits agricoles dans les pays émergents

 

Le boom économique de pays émergents clé tels que l'Inde et la Chine a entraîné, du fait de l'augmentation des revenus disponibles et des modifications des habitudes alimentaires, une augmentation de la demande de produits agricoles. Ainsi, la consommation alimentaire en Asie est passée de 2 150 kilocalories par personne et par jour en 1970 à près de 2 800 kilocalories en 2000. Les modifications des habitudes alimentaires se sont traduites par une baisse de la consommation d'aliments riches en amidon au profit d'une consommation accrue de produits animaux (viande et produits laitiers). Or, il faut en moyenne sept calories végétales pour produire une calorie animale. Cependant, cette augmentation de la demande dans les pays émergents ne semble pas avoir eu de rôle déterminant dans la hausse des prix alimentaires. En effet, la Chine et l'Inde n'ont pesé que faiblement sur les marchés mondiaux dans les importations céréalières au cours de la campagne 2007/2008. 
La croissance économique qui caractérise ces pays devrait s'accompagner d'un exode rural et d'une forte urbanisation mais cette évolution est progressive et n'aura pas d'impact significatif sur les marchés à court terme. Entre-temps, les agriculteurs devraient pouvoir adopter des technologies agricoles qui permettent de répondre aux effets de la demande croissante sur les prix.

Autres facteurs liées aux marchés financiers et aux fluctuations des taux de change

Les transactions sur les marchés financiers

 

Les marchés financiers connaissent partout dans le monde une croissance extrêmement rapide provoquée par d'abondantes liquidités, survenues grâce au développement économique rapide des économies émergentes, aux faibles taux d'intérêt et aux prix de pétrole élevés, alors que dans le même temps les marchés agricoles sont devenus plus transparents par le biais de politiques offrant davantage d'opportunités financières pour une plus large diversification du portefeuille et une réduction des risques. Ces quantités massives de liquidités prêtes à être investies dans des marchés opérant avec des instruments financiers liés aux marchés des produits agricoles sont susceptibles d'influer sur les marchés au compte sous-jacent pour aller jusqu'à orienter les choix des agriculteurs, des éleveurs et des transformateurs de produits agricoles. Il reste cependant que ce soit davantage l'instabilité des prix plutôt que leur niveau qui soit affectée par les spéculations sur ces marchés.

 

Les fluctuations des taux de change

 

La baisse du cours du dollar américain par rapport à de nombreuses monnaies a eu de grandes répercussions sur l'évolution de la structure des marchés agricoles et des échanges, étant entendu que la plupart des prix agricoles et alimentaires sont libellés en dollars. En effet, dans les pays dont la monnaie s'apprécie par rapport au dollar, les importations de produits agricoles et alimentaires d'origine américaine sont devenues moins chères, ce q

Conclusion

De nombreux facteurs agissant aussi bien du côté de la demande que de l'offre mais aussi sur les marchés financiers expliquent la flambée spectaculaire des prix agricoles et alimentaires depuis 2007. Bien que les avis divergent sur la part respective de chacun de ces facteurs dans la hausse des prix, il semble que l'augmentation de la production des biocarburants, sous l'impulsion des politiques de subvention, soit considérée comme le facteur principal ainsi qu'en concluent la Banque mondiale et le FMI. 
Selon toutes les projections, le niveau des prix des denrées agricoles et alimentaires devrait rester élevé dans les prochaines années, ce qui devrait affecter les marchés de la plupart des pays en développement et éprouver le plus durement les consommateurs des villes et des zones rurales qui consacrent une part importante de leur revenu à l'alimentation, d'où des risques d'insécurité alimentaire et de malnutrition élevés. 
Parallèlement, la hausse des prix devrait stimuler l'offre pour les agriculteurs ayant la capacité d'accroître leur production et d'approvisionner le marché. Pour de nombreux pays à faible revenu en déficit vivrier, cette crise pourrait être l'opportunité de développer leur secteur agricole et rural si les conditions en termes d'infrastructures de transport et de commercialisation ainsi que de politiques de subvention sont réunies. 
 

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