Le retour de l'inflation : réalité ou fantasme ?

Les faits

Dans les pays développés, la tendance à la modération de la hausse des prix se manifeste depuis une quinzaine d'années. Mais, dans la zone euro, les dernières statistiques font état d'une légère accélération de cette hausse des prix. Depuis fin 2010, les hausses mensuelles de l'indice  donnent une inflation (en tendance annuelle) supérieure à 2 %. En avril, les dernières données indiquent un rythme annuel de l'ordre de 2,8 %. Cette tendance globale est le résultat de situations fort différentes selon les pays, certains sortant tout juste d'une période marquée par des tensions déflationnistes (Irlande, Pays-Bas, Finlande) alors que la Grande-Bretagne et la Belgique sont largement au-dessus de la moyenne (respectivement 4,05 % et 3,42 % pour les données d'avril 2011). En France, les prévisions actuelles de hausse des prix sont de l'ordre de 2,1 %, légèrement au-dessus de l'objectif traditionnellement affiché par la BCE. Notons que les perspectives pour 2012 annoncent, pour la zone euro, un ralentissement de la tendance autour de 1,8 % en rythme annuel.

Indice harmonisé des prix à la consommation - Zone euro
 

Source : Eurostat

Dans les pays émergents, la situation se présente différemment : la Chine a connu, en 2010, une hausse annuelle des prix supérieure à 5 %, le Brésil à 6 % ; la Russie et la Turquie sont au-dessus de 7 %, l'Inde est à 9 %. Le début de l'année 2011 confirme globalement ces tendances.

Inflation moyenne (2002-2008)
 

Source : Ressources en ligne, La Documentation Française

Pourquoi de telles divergences ?

À l'évidence, l'inflation se révèle un marqueur relativement fiable de la vigueur de l'activité économique. Mais elle peut aussi être alimentée par d'autres facteurs. Dans les pays émergents , la récession de 2008 -2009 est aujourd'hui oubliée et la croissance économique a retrouvé des niveaux élevés qui alimentent les tensions sur l'offre et poussent à des revendications salariales, elles-mêmes génératrices d'un accroissement des coûts de production. La poussée inflationniste y est aussi la conséquence de la flambée des prix alimentaires et de la hausse des cours de certaines matières premières, notamment de l'énergie, hausses engendrées par la pression de la demande sur une offre relativement rigide. Enfin, l'afflux de capitaux étrangers dans les pays émergents engendre une abondance de liquidités qui favorise les poussées d'inflation. Dans les pays développés , la donne est aujourd'hui d'une autre nature : l'inflation est, pour l'essentiel, alimentée par des facteurs exogènes comme la hausse des prix de l'énergie et des matières premières, notamment d'origine agricole. La plupart des analystes continuent à considérer que l' inflation sous-jacente reste modérée. Celle-ci se calcule en éliminant les effets des prix soumis à l'intervention de l'État de ceux qui sont affectés par les aléas climatiques ou par des tensions sur les marchés mondiaux. Dans la zone euro, la légère accélération de cette inflation sous-jacente (1,3 % en mars à 1,6 % en avril en tendance annuelle) semble accompagner un début de reprise de l'activité économique, sans qu'on puisse, pour l'instant, s'alarmer de la tendance constatée. Enfin, il semble se confirmer que l'on puisse écarter, pour l'instant, un éventuel impact des politiques monétaires « généreuses » des banques centrales, notamment de la BCE, dans la poussée inflationniste constatée : l'accroissement de la masse monétaire, ces derniers mois, est resté modéré, les banques commerciales ne transmettant pas l'augmentation des « liquidités banque centrale » qu'elles ont reçues en crédits aux agents économiques, mais en profitant pour reconstituer leurs réserves auprès des banques centrales, sans véritable effet multiplicateur sur la distribution de crédit.

Des analyses divergentes

La plupart des analystes ne retiennent pas, à l'heure actuelle, l'hypothèse d'un retour à un rythme d'inflation élevé dans les pays développés.  Les facteurs internes jouent en effet toujours en faveur d'une modération de la hausse des prix : pas de pression générale de la demande sur l'appareil de production, phase de désendettement des ménages qui modère la progression de la consommation, marché du travail toujours largement excédentaire exerçant une forte pression sur les salaires, intensité de la concurrence qui pousse les entreprises à comprimer leurs marges. En France, par exemple, l'évolution prévisible du pouvoir d'achat pour 2011 (+1 % selon l'OFCE) est en deçà des tendances constatées en 2010 (+1,4 %) et en 2009 (+1,6 %). Dans ces conditions, ni le scénario de l'inflation par la demande ni celui de l'inflation par les coûts (notamment par les coûts unitaires de main-d'oeuvre) ne semblent, à moyen terme, crédibles. Les enquêtes sur les anticipations inflationnistes par les acteurs économiques confirment que cette piste d'analyse est aujourd'hui peu suivie. Ces perspectives ont même conduit l'économiste en chef du FMI, Olivier Blanchart, à suggérer aux banques centrales le relèvement de leur « taux-cible » d'inflation de 2 % à 4 %. Il reste que certains analystes, plus proches des milieux bancaires et de la vision monétariste, considèrent que sont aujourd'hui réunies les conditions d'une « éruption inflationniste » future. On se souvient que Milton Friedman 1 soutenait que « La cause immédiate de l’inflation est toujours et partout la même : un accroissement anormalement rapide de la quantité de monnaie par rapport au volume de la production » . Les injections fantastiques de liquidités destinées à lutter contre l'impact de la crise financière de 2008 ont gonflé de manière hypertrophiée les réserves de change de certaines banques centrales, notamment dans les pays émergents. Doit-on craindre, pour l'économie mondiale, une « bombe à retardement » ?

Définition

L'indice d' inflation sous-jacente est un indice désaisonnalisé qui permet de dégager une tendance de fond de l'évolution des prix. Il traduit l'évolution profonde des coûts de production et la confrontation de l'offre et de la demande. Il exclut les prix soumis à l'intervention de l'État (électricité, gaz, tabac...) et les produits à prix volatiles (produits pétroliers, produits frais, produits laitiers, viandes, fleurs et plantes,...) qui subissent des mouvements très variables dus à des facteurs climatiques ou à des tensions sur les marchés mondiaux. (Insee)

Note

1. Milton Friedman, Inflation et systèmes monétaires , Calmann-Lévy, 1994.

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