Face à la crise du lait, comment repenser la régulation ?

Les données du problème

Elles sont complexes car elles font intervenir les structures très particulières de ce marché et l’évolution des prix, elle-même conséquence des transformations  de la demande et des aléas climatiques.

La  structure du marché 

L’essentiel du lait produit dans un pays est le plus souvent consommé sur le marché national. Au niveau mondial, moins de 10 % de la production de lait font l’objet d’une exportation, soit sous forme de poudre de lait, soit sous forme de produits transformés (beurre, fromages…).

La production de lait, en France est relativement « atomisée ». Elle provient d’environ 90 000 producteurs. Ceux-ci trouvent en face d’eux des acheteurs au contraire fortement concentrés : les 2/3 des 25 milliards de litres de lait produits annuellement en France sont collectés par moins de 10 entreprises, coopératives laitières (Sodiaal par exemple) et surtout groupes industriels de l’agroalimentaire (Lactalis, Danone, Bongrain, Bel…).

Ces structures atomisées se retrouvent dans les pays du Sud de l’Union européenne. Les pays du Nord, en particulier la Suède ou les Pays-Bas, se caractérisent en revanche par une forte concentration de la production et de la collecte voire par des structures quasi-monopolistiques.

Le marché international  ne concerne qu’une faible part de la production totale, mais il est dominé par 5 grands exportateurs qui assurent 80 % des exportations mondiales (Union européenne, Nouvelle-Zélande, Etats-Unis, Australie, Argentine). Le groupe Fonterra, d’origine néo-zélandaise, occupe une place particulière sur ce marché : 1er exportateur mondial de produits laitiers, il contrôle environ 1/3 du commerce mondial de ces produits.

La détermination du prix

Cette hétérogénéité des structures de production, correspondant à des coûts de production très différents, explique largement le fait que les prix peuvent varier dans une fourchette très large : en septembre 2009, le prix payé au producteur par litre de lait équivalait à 15 centimes d’euros en Nouvelle-Zélande, 20 centimes en Argentine, 25 centimes en France, 35 centimes en Italie et 40 centimes en Finlande. Une partie de ces différences peut aussi s’expliquer par le degré d’encadrement et de protection du marché, variable d’un pays à un autre.

Mais, comme toute production agricole, la production de lait est très sensible aux accidents climatiques, notamment lorsqu’ils affectent les grands pays exportateurs : en 2007, on a assisté à une véritable flambée des cours du lait (+ 33 % sur un an en moyenne dans l’Union européenne). Les fortes  sécheresses en Nouvelle-Zélande et en Australie et en Amérique latine ont fortement limité les volumes exportables. L’offre mondiale s’est révélée insuffisante face à la demande, alors que la consommation dans les pays émergents, en particulier en Chine, connaissait une croissance exceptionnelle.

Pourquoi l’effondrement des cours ?

Source : Les Echos, 5 octobre 2009

A partir du dernier trimestre 2008, le mouvement des prix se retourne brutalement sous l’effet conjugué de plusieurs facteurs.

  • D’une part, la hausse vertigineuse de l’année 2007 a conduit certaines industries agroalimentaires à rechercher des produits de substitution au lait ce qui a contribué à limiter la demande.

  • D’autre part, les perspectives de prix élevés ont engendré un accroissement de la production, les conditions climatiques dans les grands pays exportateurs redevenant plus favorables.

  • Par ailleurs, le scandale du lait contaminé à la mélamine, en septembre 2008, a « cassé » l’élan du marché chinois.

  • Enfin, la crise économique et ses répercussions sur les revenus et le pouvoir d’achat ont contribué à déprimer la demande de produits laitiers, notamment de produits à forte valeur ajoutée (fromages).

Focus sur les quotas européens

La colère des agriculteurs s’est focalisée sur les projets de la Commission européenne, présentée par la commissaire à l’Agriculture, Mariann Fischer Boel. Les quotas, instaurés en 1984, régulaient jusqu’alors le marché européen, en attribuant à chaque pays, et en aval à chaque producteur, une limite quantitative à ne pas dépasser (sous peine de sanctions financières). Ce système a été progressivement assoupli par une augmentation progressive des quotas (+ 1 % par an) qui doit se poursuivre jusqu’en 2015, date de leur disparition.

Si la mise en cause de la disparition des quotas dans la crise actuelle n’est pas vraiment recevable – les quotas sont toujours d'actualité – on peut comprendre que leur suppression fasse naître des craintes quant à la régulation de ce marché très sensible où les variations de volume peuvent, sur le court terme, être considérables.

L’Allemagne et la France ont présenté un projet de régulation pour l’avenir qui a recueilli l’assentiment de 21 des 27  pays de l’Union, mais l’opposition des pays d’Europe du Nord à ce projet reste vive.

Le Conseil des ministres européens de l’Agriculture n’a pas, pour l’instant, débouché sur un projet alternatif, mais un groupe d’experts doit faire, d’ici juin 2010, des propositions nouvelles, notamment pour la mise en œuvre de relations contractuelles entre producteurs laitiers et industriels de l’agroalimentaire, permettant de limiter la volatilité des prix.

Dans l’immédiat, la Commission de Bruxelles a autorisé le versement d’aides de soutien aux producteurs par les gouvernements nationaux, à concurrence de 15 000 € par exploitation. La commissaire européenne à l’Agriculture a, par ailleurs, annoncé le déblocage d’une aide d’urgence de 280 millions d’euros pour l’ensemble de l’Union.

Le « groupe des 21 » a été conforté dans sa demande d’une nouvelle régulation du marché du lait par le récent rapport de la Cour des comptes européenne, qui met l’accent sur les risques d’un retour à des situations structurelles de surproduction.

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