Banque : la saison des mariages est ouverte

Les faits

En octobre 2008 , la Caisse d’Epargne et la Banque Populaire ont officialisé leur projet de mariage. Les conseils de la Banque Fédérale des Banques Populaires et de la Caisse Nationale des Caisses d’Epargne ont conclu un accord d’ouverture de négociations en vue du rapprochement de leurs organes centraux. Le cadre des travaux alors fixé prévoyait la finalisation et la réalisation du rapprochement au 1er semestre 2009 . Un comité de projet est mis en place, présidé par Philippe Dupont.1

Pourquoi ce mariage apparaît-il aujourd’hui opportun ?

L’idée du rapprochement n’est pas nouvelle . C’est l’échec d’une première tentative qui avait donné naissance en novembre 2006 à Natixis, rapprochement entre Ixis, banque d’investissement de la Caisse d’Epargne, et Natexis, banque d’investissement de la Banque Populaire.Cette opération était considérée comme un premier pas vers une fusion plus globale. En décembre 2007, la Banque Populaire aurait proposé des discussions, finalement refusées. A l’été 2008, une nouvelle tentative a étén lancée par la Caisse d’Epargne.

Les concentrations ont souvent lieu par vagues . L’exemple présent ne fait pas exception à la règle. Certaines circonstances favorisent en effet ces opérations. La crise a profondément bouleversé le paysage bancaire en France et dans le monde. Certains acteurs ont été plus touchés que d’autres, ce qui a créé des opportunités de rachat, comme dans le cas de Fortis en grande difficulté, pour BNP Paribas. La course à la taille est ainsi lancée. Celle-ci peut aussi contribuer à redonner de la confiance dans le système bancaire durement touché.

Les difficultés de Natixis 3, filiale commune des Caisses d’Epargne et des Banques Populaires ont été aussi décisives. Lors d’un point bas, la lutte pour la baisse des coûts se fait encore plus criante. Les deux groupes eux-mêmes ont été fortement touchés par la crise bancaire ou encore le scandale Madoff. La Caisse d’Epargne a aussi également souffert de la banalisation du livret A.

Quels sont les bénéfices attendus d’une telle opération ?

 

Le nouveau groupe bancaire compterait 40 milliards d’euros de fonds propres, près de 120 000 salariés, plus de 8 000 agences et 36 millions de clients en France. Il totaliserait environ 360 milliards d’euros de dépôts, et serait ainsi la deuxième banque française derrière le crédit mutuel, regroupant 25 % des clients particuliers en France. Là se situe l’avantage essentiel espéré de la fusion : atteindre une position dominante sur le marché, en particulier à la suite du rachat de Fortis par BNP Paribas.

Plus généralement, cette fusion est une concentration horizontale * , avec tous les atouts qui lui sont liés , d’autant plus que les deux groupes bancaires ont de nombreux points communs .

C'est en 1818 et à Paris que voit le jour la première Caisse d’Epargne pour aider les plus modestes à gérer leur argent. D’autres vont suivre. En 1835, elles deviennent des établissements privés d’utilité publique. A ce titre, leurs fonds sont garantis par l’Etat dans la limite d’un certain montant. Elles s’occupent ainsi de missions d’intérêt général, comme le financement du logement bon marché. Dans les années 1980-1990 elles accèdent petit à petit au statut d’établissement de crédit à part entière, mais forment une structure mutuelle, décentralisée, à partir de 1990.

La Banque Populaire quant à elle, est née en 1878, pour le financement avant tout des PME. Elle ne fait des crédits aux particuliers que depuis 1966. C’est en 1917, lors de l’adoption du statut des Banques Populaires, qu’elle se constitue comme société coopérative. Elle va ensuite peu à peu étendre son réseau. Cette structure est elle aussi gérée de façon largement régionalisée, décentralisée.

On espère ainsi de l’opération des synergies , des effets de complémentarité dans les métiers. La crise a aussi engagé les banques dans un recentrage autour des activités traditionnelles de la banque de détail. La réussite de cette fusion est donc importante à cet égard.

Quid de la nouvelle structure ?

L’opération concerne un groupe coopératif * et une banque mutualiste * . Elle verrait la fusion entre la Banque Fédérale des Banques Populaires et la Caisse Nationale des Caisses d’Epargne, organes centraux chargés du pilotage des entités régionales. Ceux-ci ne formeraient donc plus qu’une entité , mais les deux réseaux préexistant resteraient autonomes . Leurs marques perdureraient également.  Une partie des filiales des deux groupes serait écartée de l’opération.

Le nouveau groupe serait dirigé par un conseil de surveillance (qui devrait être présidé par Philippe Dupont) et un directoire (présidé par François Pérol).

Quels en sont les difficultés ou les risques ?

 

Le groupe Caisse d’Epargne emploie 52 000 personnes, la Banque Populaire, 44 380 personnes, Natixis, 22 000 personnes. Des synergies sont espérées de la fusion. Celles-ci passent par des suppressions de postes non encore estimées pour l’instant. Un plan de suppression de 4 500 postes avait été annoncé à la Caisse d’Epargne à la suite de la crise bancaire. Ce plan est aujourd’hui suspendu. Quoi qu’il en soit, les syndicats évaluent de 1 200 à 2 000 postes les suppressions possibles.

L’échec de la première tentative de rapprochement, ainsi que les difficultés rencontrées par Natixis font craindre deux autres écueils : les difficultés de gouvernance de la nouvelle structure, les obstacles culturels à la fusion .

Difficultés de gouvernance d’abord. Qui va diriger la nouvelle structure ? Un "rouge" ou un "bleu" ? S’agit-il d’une fusion entre égaux ? La nomination de François Pérol 6 comme président du directoire du groupe peut se justifier d’abord par son expérience dans la banque. Il est par ailleurs extérieur aux deux groupes antérieurs. Cette nomination n’est cependant pas sans susciter le débat : n’y a t il pas une ingérence des pouvoirs publics, en particulier du président de la République dans des affaires privées ? François Pérol n’a t il pas conseillé, au titre de son ancien emploi, la précédente tentative de rapprochement ? Enfin autre question : quel sera la place de l’Etat dans le capital et la gestion du nouveau groupe ?

Difficultés culturelles ensuite. Lors des débuts de Natixis,  certaines étaient déjà apparues à plusieurs reprises. Ixis avait opté pour des activités de marché plus "techniques", plus risquées, utilisant les outils des innovations financières. Natexis s’était orienté davantage vers le financement des grandes opérations peu risquées de financement d’entreprises. Là encore, les mêmes inquiétudes sont présentes.

Les opérations de restructuration consécutives aux fusions sont souvent longues, parfois coûteuses tant humainement que financièrement. Bref, les "bleus" et les "rouges", sont encore loin du violet ! 

Lexique

  • Dans une société anonyme , l’assemblée générale des actionnaires décide des grandes orientations stratégiques de l’entreprise.Pour assurer la gestion au jour le jour de la société, elle peut élire un conseil d’administration , composé d’administrateurs (actionnaires ou pas) et d'un président, chargés ensuite de nommer les directeurs généraux de l’entreprise. Cependant, le contrôle de l’activité des administrateurs est souvent difficile. L’assemblée générale peut opter pour un conseil de surveillance et un directoire (type dit "allemand") . Le premier de ces organes a des pouvoirs de contrôle plus étendus sur l’activité du second. Le partage, la collégialité assurent ainsi un meilleur équilibre des pouvoirs.
  • Une société coopérative ou mutuelle est une société anonyme ou une société à responsabilité limitée particulière. Elle doit avoir pour objet la production de biens et services d’intérêt collectif, à caractère d’utilité sociale. Dans ce type de société, les détenteurs de parts sociales (fraction du capital) sont appelés sociétaires . Ils participent à la gestion de l’entreprise au sein de l’assemblée générale qui décide des grandes orientations stratégiques. Les bénéfices de la société sont généralement réinvestis dans la structure, même si un intérêt statutaire peut être distribué. Dans les cas qui nous concernent, les clients des banques sont également les sociétaires. Ce type de statut est présumé inscrire la stratégie de l’entreprise dans la durée, dans une logique de défense des intérêts mutuels, mettant également le capital social à l’écart des fluctuations des marchés.
  • La concentration des entreprises est la croissance moyenne de la taille des entreprises dans une économie ou un secteur d’activité donné. Cette concentration peut être le résultat de deux types d’opérations : opération de croissance interne si une entreprise crée une structure de production nouvelle, croissance externe si elle absorbe ou se jumelle avec des structures de production existantes. Une fusion crée une entité nouvelle avec des entités anciennes, tandis qu’une acquisition voit la disparition d’une entité au profit d’une autre.

Notes

1. Il est aussi le président des Banques Populaires.
2. Chaque groupe possède environ 35 % de Natixis, le reste des titres appartenant à d'autres actionnaires. Natixis, contrairement aux deux entreprises mères, est une société anonyme côtée.
3. Ses pertes ont été estimées en 2008 à environ 2,5 milliards d'euros.
4. Dépôts cumulés des 2 groupes.
5. Les "bleus", en référence à l'identité visuelle du groupe, sont les salariés des Banques Populaires. Pour le même motif, on parle des "rouges" de la Caisse d'Epargne.
6. Il est l'ancien secrétaire général adjoint de l'Elysée.

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