Airbus (première partie) : 1996-2002

La constitution d'Airbus

En 1970, trois sociétés françaises fusionnent pour former une entité publique, Aérospatiale. Cette structure est partenaire d'Airbus Deutschland au sein du groupement d'intérêt économique Airbus. Il ne s'agit pas alors d'une société commune, mais d'un regroupement d'acteurs indépendants, qui enregistre les commandes et répartit le travail. En 1971, le constructeur aéronautique public espagnol Casa rejoint Airbus, puis c'est le tour de British Aerospace (BAe) en 1979. En 1996, la structure n'a guère évolué : français (Aérospatiale) et allemands (Dasa, filiale de Daimler-Benz) se partagent à égalité 76 % du capital, BAe en détient 20 % et Casa 4 %. Le GIE se révèle inadapté à des projets ambitieux, car il est trop soumis à l'équilibre des forces entre les différents acteurs. La transformation est indispensable, mais elle prendra beaucoup plus de temps que prévu.

A la recherche du nouvel Airbus

1996

Au début de l'année 1996, Airbus est confronté à un enjeu de taille. La croissance de l'avionneur passe par une percée sur le marché des très gros porteurs, dominé par Boeing. Une alliance entre les deux entreprises avait été envisagée quelques années plutôt, mais a échoué en 1995. Les ministres des Transports de l'Union européenne font du développement d'un très gros porteur (l'A3XX) un enjeu stratégique. Mais cet axe nécessite une recapitalisation et l'arrivée dans Airbus de nouveaux partenaires.
Aérospatiale, quant à elle, est appelée à fusionner avec Dassault. Le Président de la République Jacques Chirac, élu depuis moins d'un an, s'est engagé personnellement pour que les deux entreprises se rapprochent. Ce projet ne date pas de cette prise de position, puisqu'il a été abordé pour la première fois en 1977.
A l'automne, la donne se complique. Les partenaires présents au sein d'Airbus se mettent d'accord pour transformer le Groupement d'intérêt économique européen (GIE) en société anonyme. Mais les contours de la nouvelle entité restent très flous. Tous sont d'accord pour ne pas maintenir le statu quo, qui décrédibilise Airbus sur le plan international. Mais certains partenaires (comme BAe et DASA) souhaitent pousser au plus loin l'intégration des activités, tandis qu'Aérospatiale souhaite se contenter  de réunir les chaînes de montage des avions commerciaux. Le français est d'autant moins pressé de résoudre la question de l'avenir d'Airbus que les discussions traînent entre le gouvernement et Dassault. La nouvelle entité sera-t-elle privée ou publique ? Dassault sera-t-il majoritaire ou minoritaire ? Combien vaut Aérospatiale ? Autant de questions qui nécessitent une négociation âpre entre les deux parties.
La pression s'accentue à l'annonce de la fusion entre Boeing et MacDonnell Douglas, qui crée un géant de l'aéronautique civile et militaire aux Etats-Unis.

1997

Alors que la France a évolué vers une position plus proche de l'Allemagne quant aux contours de la future entité, les relations entre Aérospatiale et Dasa se refroidissent brutalement. Dasa a en effet choisi de s'allier à Lagardère contre Aérospatiale dans le cadre de la privatisation de Thomson CSF. Le gouvernement français affirme que la fusion Dassault Aérospatiale sera réalisée à la fin de l'année.
Mais les cartes sont rebattues après les élections législatives, consécutives à la dissolution de l'Assemblée nationale prononcée par le chef de l'Etat. Alain Juppé quitte Matignon, il est remplacé par Lionel Jospin. Le nouveau gouvernement est hostile à une privatisation d'Aérospatiale, mais souhaite que Dassault rejoigne une grande entreprise à capitaux majoritairement publics – une perspective rejetée catégoriquement par Serge Dassault, qui ne tarde pas à considérer que le rapprochement avec Aérospatiale n'est plus d'actualité. Il doute même publiquement de l'intérêt d'un grand groupe aéronautique européen face à Boeing, affirmant qu'il préfère des petites entreprises rentables à un géant instable.
Tout au long de l'année 1997, les discussions piétinent, tant entre Dassault et le gouvernement qu'entre Aérospatiale et ses partenaires. A la fin de l'année, le dossier est repris en main par les politiques. En effet, lors d'un sommet entre chefs d'Etat, Helmut Kohl, Tony Blair, Jacques Chirac et Lionel Jospin réaffirment l'importance de créer un grand groupe européen.
En décembre, le gouvernement français propose Noël Forgeard pour succéder au patron d'Airbus Jean Pierson, à la tête de l'entreprise depuis 1985 et qui part en retraite. Noël Forgeard est patron de Matra Hautes Technologies, une filiale du groupe Lagardère.

1998

Le premier semestre de l'année 1998 sera marqué par des passes d'armes entre Dasa, Aérospatiale et BAe. Le gouvernement français refuse toujours de privatiser l'entreprise publique, tandis que les deux partenaires ne cessent d'affirmer leur hostilité à la présence de capitaux publics dans le futur groupe. Progressivement, la France s'oriente vers une ouverture du capital, mais en restant majoritaire. Il est toutefois exclu que BAe et Dasa puissent y prendre part, ce qui romprait l'égalité entre les partenaires au sein d'Airbus
En juillet, contre toute attente, le gouvernement annonce le mariage de Aérospatiale et Matra Hautes Technologies. Le groupe Lagardère possèdera aux alentours de 30 % du nouvel ensemble, les salariés, l'Etat et d'autres investisseurs privés se partageant le reste. Un géant qui réalisera 12 milliards d'euros de chiffre d'affaires et emploiera 56 000 personnes. Bien que cette décision d'ouvrir le capital représente une évolution très nette de la position française, puisque l'Etat n'est majoritaire qu'avec l'appui des salariés, elle semble encore insuffisante à Dasa et BAe. Les rumeurs de fusion entre l'entreprise allemande et la britannique sont de plus en plus fortes. Tony Blair et Gerhard Schröder y sont favorables, mais le gouvernement français y est tout à fait hostile : ce rapprochement donnerait un poids trop important à un partenaire unique, au détriment d'Aérospatiale.
En ce qui concerne les négociations avec Dassault, elles semblent au point mort. L'Etat français décide finalement de transférer l'ensemble de ses participations dans le groupe Dassault (46 % du capital) à Aérospatiale. Une décision qui ne déplaît pas à Serge Dassault, dont la seule exigence est de rester majoritaire.
Bien qu'aucun des problèmes internes d'Airbus ne soit réglé, le constructeur enregistre des succès commerciaux certains, frôlant à la fin de l'année les 50 % de parts de marché.

1999

Au premier semestre, l'Etat et Lagardère négocient âprement les conditions du mariage entre Aérospatiale et Matra Hautes Technologies. Tout est finalisé au mois de juin. La Commission des participations et des transferts (chargée de défendre les intérêts de l'Etat lors d'une privatisation), puis la Direction générale de la Concurrence de la Commission européenne, autorisent l'opération. Le nouveau groupe entre en bourse en juin et rejoint le CAC 40 à l'automne, où il remplace Elf, qui vient d'être absorbé par Total. Philippe Camus (Lagardère) et Yves Michot (Aérospatiale) dirigent en tandem le nouvel ensemble.
La fusion entre BAe et Dasa a finalement échoué. BAe absorbe finalement GEC Marconi, formant le premier groupe européen d'aéronautique. Entre le pôle français et le pôle britannique, l'Allemand Dasa se trouve isolé. Il se rapproche de la France, tout en laissant entendre qu'il pourrait nouer des alliances américaines. Il absorbe finalement l'Espagnol Casa, le quatrième partenaire d'Airbus, convoité également par BAe et Aérospatiale. Ce rapprochement rompt l'équilibre entre la France et l'Allemagne au sein d'Airbus, Dasa se retrouvant majoritaire. Mais la France ne proteste pas. Le ministre des Transports Jean-Claude Gayssot y voit un signe avant tout positif : Dasa a choisi l'Europe plutôt que le grand large.
Cet ancrage européen est confirmé en octobre. Après plusieurs mois de négociations secrètes entre les ministres de l'économie français et allemand, Jean-Luc Lagardère et Jürgen Schrempp (patron de Daimler-Benz, actionnaire unique de Dasa), les deux entreprises annoncent leur fusion, lors d'une rencontre à Strasbourg en présence de Lionel Jospin et de Gerhard Schröder. Une nouvelle société, EADS (référence ironique à EADC, le nom de la structure qui aurait dû voir le jour avec BAe), sera créée. Elle sera détenue à 30 % par les partenaires français, 30 % par le tandem Dasa-Casa et 40 % par des investisseurs. Dasa a fait de larges concessions par rapport à sa position initiale. L'Etat espagnol, qui vient de céder Casa, détiendra 6,25 % du capital d'EADS, correspondant à son poids dans le nouvel ensemble Dasa-Casa. Mais surtout, l'Etat français en détiendra 15 %, assortis d'un droit de veto sur les décisions les plus stratégiques. Rapidement, Schrempp et Lagardère laissent entendre que la porte d'EADS est fermée à d'autres partenaires, en particulier BAe.
Airbus ne compte plus désormais que deux partenaires : EADS (80 %) et BAe (20 %). Les relations se tendent. BAe refuse que Noël Forgeard cumule, temporairement, les fonctions de représentant d'EADS au sein d'Airbus et d'administrateur-gérant en attendant le changement de statut. Celui-ci paraît d'ailleurs moins certain.
A la fin de l'année, Yves Michot quitte Aérospatiale-Matra. Philippe Camus est seul aux commandes. Airbus atteint 55 % de parts de marché.

2000

L'entrée en bourse (à Paris, Francfort et Madrid) d'EADS est prévue pour le mois de juillet. Pourtant, les obstacles s'accumulent. Tout d'abord, le lancement du très gros porteur A3XX (qui devient A380) est plusieurs fois repoussé, alimentant la réputation de serpent de mer du projet. L'opportunité commerciale et surtout la répartition des sites industriels entre les partenaires fait toujours débat. Un accord est finalement trouvé : les avions naîtront à Toulouse, grandiront à Hambourg et termineront leur processus de fabrication à Toulouse. Un arrangement peu rationnel, mais sans réelle alternative, la France et l'Allemagne voulant chacune le maximum du travail. A la fin de l'automne, le gros porteur semble beaucoup mieux parti, avec 50 commandes fermes. Ce seuil permet d'enclencher la phase de production.
Par ailleurs, la décision de la DG Concurrence de la Commission européenne sur la fusion est repoussée, faisant planer des menaces sur le montage financier dévoilé à Strasbourg. Finalement, Bruxelles valide à temps l'opération et EADS entre en bourse en juillet, comme prévu, avec toutefois un succès mitigé. Lagardère conclut un accord avec BNP Paribas : la banque lui cèdera ses parts dans le capital de l'entité rassemblant tous les actionnaires français d'EADS, ce qui portera Lagardère à parité avec l'Etat français dans cette entité et donc dans la partie française du contrôle d'EADS.
BAe, pour sa part, semble s'éloigner toujours plus de ses partenaires continentaux. L'Italien Finmeccanica lui préfère EADS pour la cession de l'entreprise aéronautique Alenia, qui rejoint donc l'alliance européenne. Une rumeur persistante laisse entendre que BAe se rapproche de Boeing, lequel attaque, avec l'appui du gouvernement américain, les aides publiques dont bénéficie Airbus pour le lancement de son très gros porteur. EADS se tourne vers le marché américain, tant en termes commerciaux qu'en termes d'alliances stratégiques.
A la fin de l'année, plusieurs voix, dont celle de Jean-Luc Lagardère, prônent l'abandon du nom EADS, pour ne retenir qu'Airbus. Une nouvelle polémique en perspective, d'autant que le bilan de l'année tourne à l'avantage de Boeing. Mais EADS passe devant Lockheed Martin, devenant le n°2 mondial de l'aéronautique.

2001

Par ailleurs, EADS et BAe trouvent, dès le début de l'année, un accord définitif sur le changement de statut d'Airbus, après des négociations d'un an sur les droits de vote de BAe. La transformation devient effective en juillet : Airbus est une société par actions simplifiée de droit français. Répondant aux rumeurs, Jean-Luc Lagardère affirme son attachement à EADS et affirme qu'il en restera actionnaire au moins jusqu'en 2003. EADS acquiert près de 30 % du capital de Patria, groupe public aéronautique finlandais.
EADS fusionne ses trois sièges et prévoit de supprimer 600 postes. Le plan social en France est annulé par la justice. Mais alors que Boeing, face à la crise du transport aérien aggravée par les attentats du 11-Septembre, supprime plusieurs milliers d'emplois, EADS se contente de geler la croissance de ses effectifs ainsi que ses investissements, sauf ceux relatifs à l'A380, stratégique pour l'entreprise. Un site de production lié à cet avion est d'ailleurs annoncé, à la fin de l'année, aux Etats-Unis. Boeing, quant à lui, abandonne le créneau des très gros porteurs, après un échec commercial. L'entreprise se recentre sur les avions très grande vitesse.
Airbus lance par ailleurs l'A400M, un avion de transport militaire qui divise les Européens. Les Italiens le rejettent et l'Allemagne négocie âprement le prix de vente, qu'elle estime trop élevé.
Sur l'année 2001, Airbus tire son épingle du jeu et repasse devant Boeing en nombre d'appareils vendus.

2002

Au début de l'année, les commandes de l'A380 frôlent la centaine. Mais le seuil de rentabilité est fixé à 250 et la conjoncture du secteur aérien laisse prévoir un ralentissement des commandes. Airbus négocie avec le gouvernement un plan d'avances publiques afin de limiter le recours à l'autofinancement. Un accord est finalement conclu : le gouvernement français prêtera 1,3 milliard d'euros à Airbus.
Les relations sont moins apaisées avec l'Allemagne. La coalition gouvernementale entre les sociaux-démocrates et les Verts se déchire : les premiers sont favorables à l'achat de l'A400M, tandis les seconds s'y opposent. Le débat budgétaire au Parlement est plusieurs fois repoussé pour trouver une conciliation. Un feuilleton qui durera toute l'année 2002 La majorité parlementaire change au Portugal et les commandes de l'avion militaire sont remises en question.
Jean-Luc Lagardère affirme vouloir rester dans EADS au moins jusqu'en 2007. Les rumeurs font état d'un désaccord stratégique avec son fils, qui serait plus intéressé par les médias.


L'année 2002, toujours marquée par la crise du secteur aérien, est difficile pour Boeing (qui envisage l'arrêt de son avion très grande vitesse), meilleure pour Airbus qui devance l'Américain d'une courte tête. Les deux concurrents signent plusieurs accords de coopération et le constructeur européen enregistre de nouvelles commandes. Il s'implante en particulier sur le marché des compagnies low cost, en pleine explosion.
 

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